Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/608

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

je tâche ici de découvrir d’où vient que les parties de ces corps ont force pour demeurer en repos les unes auprès des autres, et qu’elles résistent à l’effort que l’on fait pour les remuer ou les séparer.

Je pourrais[1] pourtant me répondre que chaque corps a véritablement de la force pour continuer de demeurer dans l’état où il est, et que cette force est égale pour le mouvement et pour le repos ; mais que ce qui fait que les parties des corps durs demeurent en repos les unes auprès des autres, et qu’on a de la peine à les séparer et à les agiter, c’est qu’on n’emploie pas assez de mouvement pour vaincre leur repos[2]. Cela est vraisemblable, mais je cherche la certitude, si elle se peut trouver, et non pas la seule vraisemblance. Et comment puis-je savoir avec certitude et avec évidence que chaque corps à cette force pour demeurer en l’état qu’il est, et que cette force est égale pour le mouvement et pour le repos, puisque la matière parait au contraire indifférente au mouvement et au repos, et absolument sans aucune force ? Venons donc, comme a fait M. Descartes, à la volonté du Créateur, laquelle est peut-être la force que les corps semblent avoir dans eux-mêmes. C’est la seconde chose que nous avons dite auparavant pouvoir conserver les parties de ce petit lien dont nous parlions, si fort attachées les unes aux autres.

Certainement il se peut faire que Dieu veuille que chaque corps demeure dans l’état où il est, et que sa volonté soit la force qui en unit les parties les unes aux autres ; de même que je sais d’ailleurs que c’est sa volonté qui est la force mouvante, laquelle met les corps dans le mouvement. Car, puisque la matière ne se peut pas mouvoir par elle-même, il me semble que je dois juger que c’est un esprit, et même que c’est l’auteur de la nature qui la conserve. et qui la met en mouvement, en la conservant successivement en plusieurs endroits par sa simple volonté, puisqu’un être infiniment puissant n’agit point avec des instruments, et que les effets suivent nécessairement de sa volonté.

Je reconnais donc qu'il se peut faire que Dieu veuille que chaque chose demeure en l’état où elle est[3], soit qu’elle soit en repos, ou qu’elle soit en mouvement ; et que cette volonté soit la puissance naturelle qu’ont les corps pour demeurer dans l’état où ils ont une fois été mis[4]. Si cela est, il faudra, comme a fait M. Descartes, mesurer cette puissance, conclure quels en doivent être les effets, et donner ainsi des règles de la force et de la communication des

  1. Descartes, art. 41 de la même partie.
  2. Art. 63.
  3. Art. 31.
  4. Art. 46 et ceux qui suivent.