Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/612

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nos idées s’accordent avec les sensations que nous recevons des objets ; car il arrive souvent que de tels raisonnements nous trompent, ou pour le moins qu’ils ne peuvent convaincre les autres, et ceux-là principalement qui sont préoccupés du contraire. L’autorité de M. Descartes fait un si grand effort sur la raison de quelques personnes, qu’il faut prouver en toutes manières que ce grand homme s’est trompé, efin de pouvoir les désabuser. Ce que je viens de dire entre bien dans l’esprit de ceux qui ne l’ont point rempli de l’opinion contraire, et même je vois bien qu’ils trouveront à redire que je m’arréte trop à prouver des choses qui leur paraissent incontestables. Mais les cartésiens méritent bien que l’on fasse effort pour les satisfaire. Les autres pourront passer ce qui sera capable de les ennuyer.

Voici donc quelques expériences qui prouvent sensiblement que le repos n’a aucune puissance pour résister au mouvement, et qui par conséquent font connaître que la volonté de l’auteur de la nature, qui fait la puissance et la force que chaque corps a pour continuer dans l’état dans lequel il est, ne regarde que le mouvement et non point le repos ; puisque les corps n’ont aucune force par eux-mêmes.

L’expérience apprend que de fort grands vaisseaux, qui nagent dans l’eau, peuvent être agités par de très-petits corps qui viennent heurter contre eux. De là je prétends malgré toutes les défaites de M. Descartes et des cartésiens, que si ces grands corps étaient dans le vide ils pourraient encore être agitée avec plus de facilité. Car la raison pour laquelle il y a quelque légère difficulté à remuer un vaisseau dans l’eau, c’est que l’eau résiste à la force du mouvement que l’on lui imprime, ce qui n’arriverait pas dans le vide. Et ce qui fait manifestement voir que l’eau résiste au mouvement qu’on imprime au vaisseau, c’est que le vaisseau cesse d’être agité quelque temps après qu’il n été mu ; car cela n’arriverait pas, si le vaisseau ne perdait son mouvement en le communiquant à l’eau, ou si l’eau lui cédait sans lui résister, ou enfin si elle lui donnait de son mouvement. Ainsi, puisqu’un vaisseau agité dans l’eau cesse peu à peu de se mouvoir, c’est une marque indubitable que l’eau résiste à son mouvement au lieu de le faciliter comme le prétend M. Descartes ; et par conséquent il serait encore infiniment plus facile d’agiter un grand corps dans le vide que dans l’eau, puisqu’il n’y aurait point de résistance de la part des corps d’alentour. Il est donc évident que le repos n’a point de force pour résister au mouvement, et que le moindre mouvement contient plus de puissance et plus de force que le plus