Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/615

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celles qui touchent immédiatement le bateau du côté d’où il a été poussé, qui puissent aider à son mouvement. Car, selon ce philosophie, l’eau étant fluide, toutes les parties dont elle est composée n’agissent pas ensemble contre le corps que nous voulons mouvoir. Il n’y a que celles qui, en le touchant, s’appuient conjointement sur lui[1]. Or, celles qui appuient conjointement sur le bateau, et le batelier ensemble, sont cent fois plus petits que tout le bateau. Il est donc visible, par l’explication que M. Descartes donne dans cet article sur la difficulté que nous avons de rompre un clou entre nos mains, qu’un petit corps est capable d’en agiter un beaucoup plus grand que lui[2]. Car enfin nos mains ne sont pas si fluides que de l’eau ; et lorsque nous voulons rompre un clou, il y a plus de parties jointes ensemble qui agissent conjointement dans nos mains que dans l’eau qui pousse un bateau.

Mais voici une expérience plus sensible. Si l’on prend un ais bien uni, ou quelque autre plan extrêmement dur, que l’on y enfonce un clou a moitié, et que l’on donne à ce plan quelque peu d’inclination. Je dis que, si l’on met une barre de fer cent mille fois plus grosse que ce clou, un pouce ou deux au-dessus de lui, et qu’on la laissé glisser, ce clou ne se rompra point[3]. Et il faut cependant remarquer que, selon M. Descartes, toutes les parties de la barre appuient et agissent conjointement sur ce clou, car cette barre est dure et solide[4]. Si donc il n’y avait point d’autre ciment que le repos pour unir les parties qui composent le clou, la barre de fer étant cent mille fois plus grosse que le clou, devrait, selon la cinquième règle de M. Descartes et selon la raison, communiquer quelque peu de son mouvement à la partie du clou qu’elle choquerait, c’est-à-dire le rompre et passer outre, quand même cette barre glisserait par un mouvement très-lent. Ainsi, il faut chercher une autre cause que le repos des parties pour rendre les corps durs ou capables de résister à l’effort que l’on fait, lorsqu’on les veut rompre, puisque le repos n’a point de force pour résister au mouvement, et je crois que ces expériences suffisent pour faire connaître que les preuves abstraites que nous avons apportées ne sont point fausses.

Il faut donc examiner lu troisième chose que nous avons dite auparavant pouvoir être la cause de l’union étroite qui se trouve entre les parties des corps durs ; savoir, une matière invisible qui les environne, laquelle étant extrêmement agitée, pousse avec beaucoup de violence les parties extérieures et intérieures de ces

  1. Principes de Descartes, seconde partie. art. 63.
  2. Art. 61.
  3. Art. 63.
  4. Art. 30.