Page:Mallarmé - Les Dieux antiques.djvu/27

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tesse noire et soudaine, ils partent ; mais voici que tout devient obscur ou morne, en leur absence du banquet et de la bataille. Mais ils surgissent à la fin dans toute leur gloire première, et ont le pardon des femmes que blessa leur abandon.

Tirons ceci de ces ressemblances, qu’elles ne peuvent être accidentelles ; et comme nous savons que les Grecs, et les Romains, et les Hindous, et les Perses et les Norses n’ont pu copier pareilles fables les uns sur les autres, il y a trois ou quatre mille ans, force est d’en suivre la trace jusqu’à une source commune : quand les ancêtres de toutes ces tribus vivaient, comme nous l’avons dit, dans le même lieu. Où donc est la racine, où donc le germe de toutes ces histoires ? Toujours dans ces mots, toujours dans ces phrases, qui peignirent d’abord les événements ou les scènes du monde extérieur. Exemple : dans les plus vieux hymnes hindous, on dit que le Soleil aime l’Aurore, et que le Soleil tue la Rosée en la regardant ; or les Grecs disaient que Phoibos aimait Daphné, et que Procris fut tuée par Céphale. Toutes ces histoires enfin sont réellement les mêmes, parce que des mots comme Procris, Daphné, Briséis, Hermès, les Charites et Échidna, qui n’ont pas de signification claire en grec, représentent dans les anciennes langues de l’Inde simplement des noms communs signifiant la rosée et le soleil, le matin avec ses beaux nuages et ses douces brises, les chevaux luisants du soleil, et le serpent étouffeur que sont les ténèbres.

La conséquence de cet oubli de la signification première des mots, c’est que beaucoup de récits ont été dénaturés et que certains devinrent même choquants. Ainsi les hommes ayant dit du Soleil, au temps de la