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agioteurs se donnent la main et jouent au boston. « Tourbillon d’esprit », elle enveloppe, enlève, étourdit l’helléniste Clavier, qui n’en peut plus et suffoque. Gérard cause finement, comme toujours, avec le bon vieux Ducis, patriarche à cheveux blancs, à l’air inspiré, au regard étincelant ; le mathématicien Legendre écoute Musson qui joue des proverbes ou mystifie un provincial frais débarqué. Mme de Bawr brille de tout son éclat, Mme de Bawr, auteur de huit pièces de théâtre et de trente volumes, pas un de moins, dont elle a consacré six à l’histoire, un par siècle du xive au xixe, et cela sans frémir. Arnault, Chénier et Lemercier vont de pair, les trois tragiques qui se sont partagé la succession de Voltaire « comme Antiochus, Cassandre et Lysimaque se sont distribué l’héritage d’Alexandre ». En dépit du ton réservé de la maîtresse du lieu, des écarts de langage pimentent parfois la conversation de ces hommes et de ces femmes d’esprit[1].

Souvent aussi, Sophie Gay se montre chez la princesse de Chimay. Elle y rencontre le duc de Gaëte, qui va bientôt jouer un rôle dans son existence, le cardinal Caprara, de Saint-Just, Arnault, Legouvé. Elle y entend pour la première fois chanter la comtesse Merlin. Lorsque les Chimay habitent leur château, où ils ont établi un théâtre, elle donne sur cette scène « un mauvais vaudeville de circonstance, le jour de saint Joseph, en l’honneur du patron du prince de Chimay ». Elle a pour interprètes Isabey, Ciceri, et Mme Grassini qui joue

  1. Brifaut : Souvenirs d’un académicien, introduction par le Dr Cabanès, Paris, sans date, deux volumes in 8°, I, 93.