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Page:Malot - En famille, 1893.djvu/248

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EN FAMILLE.

n’avaient été foulées par personne, et de temps en temps se retournant, elle regardait à travers les roseaux de la berge son aumuche qui se confondait si bien avec le tronc et les branches des saules, que les bêtes sauvages ne devaient certainement pas soupçonner qu’elle était un travail d’homme, derrière lequel l’homme pouvait s’embusquer avec un fusil.

Au moment où, après un de ces arrêts qui l’avait fait descendre dans les roseaux et les joncs, elle allait remonter sur la berge, un bruit se produisit à ses pieds qui l’effara, et une sarcelle se jeta à l’eau en se sauvant effrayée. Alors regardant d’où elle était partie, elle aperçut un nid fait de brins d’herbe et de plumes, dans lequel se trouvaient dix œufs d’un blanc sale avec de petites taches de couleur noisette : au lieu d’être posé sur la terre et dans les herbes, ce nid flottait sur l’eau ; elle l’examina pendant quelques minutes, mais sans le toucher, et remarqua qu’il était construit de façon à s’élever ou s’abaisser selon la crue des eaux, et si bien entouré de roseaux que ni le courant, si une crue en produisait un, ni le vent ne pouvaient l’entraîner.

De peur d’inquiéter la mère, elle alla se placer à une certaine distance, et resta là immobile. Cachée dans les hautes herbes où elle avait disparu en s’asseyant, elle attendit pour voir si la sarcelle reviendrait à son nid ; mais comme celle-ci ne reparut pas, elle en conclut qu’elle ne couvait pas encore, et que ces œufs étaient nouvellement pondus ; alors elle reprit sa promenade, et de nouveau au frôlement de sa jupe dans les herbes sèches elle vit partir d’autres oiseaux effrayés, — des poules d’eau si légères dans leur fuite qu’elles couraient sur les feuilles flottantes des nénuphars sans les