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SANS FAMILLE

et çà et là des haies ou des broussailles auxquelles les feuilles desséchées adhéraient encore, faisant entendre, sous l’impulsion du vent qui les secouait et les tordait, un bruissement sec.

Personne sur la route, personne dans les champs, pas un bruit de voiture, pas un coup de fouet ; les seuls êtres vivants étaient les oiseaux qu’on entendait, mais qu’on ne voyait pas, car ils se tenaient abrités sous les feuilles ; seules des pies sautillaient sur la route, la queue relevée, le bec en l’air, s’envolant à notre approche pour se poser en haut d’un arbre, d’où elles nous poursuivaient de leurs jacassements qui ressemblaient à des injures ou à des avertissements de mauvais augure.

Tout à coup un point blanc se montra au ciel, dans le nord ; il grandit rapidement en venant sur nous, et nous entendîmes un étrange murmure de cris discordants ; c’étaient des oies ou des cygnes sauvages, qui du Nord émigraient dans le Midi ; ils passèrent au-dessus de nos têtes et ils étaient déjà loin qu’on voyait encore voltiger dans l’air quelques flocons de duvet, dont la blancheur se détachait sur le ciel noir.

Le pays que nous traversions était d’une tristesse lugubre qu’augmentait encore le silence ; aussi loin que les regards pouvaient s’étendre dans ce jour sombre, on ne voyait que des champs dénudés, des collines arides et des bois roussis.

Le vent soufflait toujours du nord avec une légère tendance cependant à tourner à l’ouest ; de ce côté de l’horizon arrivaient des nuages cuivrés, lourds et bas, qui paraissaient peser sur la cime des arbres.