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Le goût du chapeau lui déplut sans doute, car il fit une petite grimace accompagnée d’un petit frisson. Mais il ne se tint pas pour battu, et alla recommencer son expérience à quelques pouces plus loin.

« C’est un gaillard ! dit l’oncle Pichon, émerveillé de la persévérance avec laquelle le petit bonhomme poursuivait l’accomplissement de sa tâche ; oui, ma foi, c’est un vrai Pichon ! »

Encouragé sans doute par un si bel éloge, le « vrai Pichon » continua de mordiller le chapeau de son parrain. Comme tous les poupons qui font leurs dents, le vrai Pichon bavait à faire frémir ; aussi, quand il eut parachevé le tour du chapeau, toute la ganse portait sa trace ; on eût dit qu’un limaçon péripatéticien avait passé par là.

Mme André Pichon, qui avait au plus haut degré l’amour de l’ordre et de la propreté, passa vivement le vrai Pichon à son mari et dit à son oncle: « Mon oncle, donnez-moi votre chapeau que je l’essuie, il n’est plus présentable. »

M. Pichon lui céda son chapeau sans résistance ; alors, relevant un coin de son tablier, la ménagère s’escrima à réparer le désastre. Comme elle était vive et adroite, l’oncle Pichon la regardait avec beaucoup de complaisance. Tout à coup, s’apercevant qu’il avait les bras ballants et les mains vides, l’oncle Pichon dit à son neveu: « Passe-le-moi. »

André lui passa le poupon ; et l’oncle Pichon, qui une seule fois dans toute sa longue carrière, et seulement pendant quelques minutes, avait tenu un petit enfant dans ses bras, se trouva tout à coup le plus glorieux et en même temps le plus embarrassé des parrains.

Tout en s’occupant du chapeau, la jeune femme donna quelques conseils pratiques à son oncle. Alors le filleul, se sentant tenu selon les règles, cessa de craindre pour sa vie, et s’occupa activement des boucles d’oreilles de son parrain. Comme le drôle avait déjà la poigne vigoureuse, le parrain ne pouvait s’empêcher de faire par moments d’horribles grimaces ; mais il soutenait effrontément que ce n’était pas vrai. Pendant qu’il serrait ce petit enfant sur sa poitrine, son cœur battait plus fort, et sa mémoire lui rappelait avec un charme infini les pensées qu’il avait roulées bien souvent dans sa tête, depuis le jour où il avait vu Mme Gilbert pour la