Page:Maman J. Girardin.pdf/266

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

glissa celui de sa belle-sœur sous le sien. Comme ils n’avaient que quatre pas à faire, ils jugèrent sans doute inutile d’entamer une conversation, et ils rentrèrent silencieusement dans la maison du percepteur.

Le vieux magistrat emmena triomphalement ses six chasseurs, dont le pas sonore et bien rhythmé vous suggérait tout de suite l’idée d’une patrouille nocturne.

« Voyez comme on écrit l’histoire, dit un jeune lieutenant, qui regrettait de se retirer sitôt, j’avais toujours entendu dire que la Silleraye était la ville la plus assommante de toute la France.

— Mon jeune ami, répondit le vieux magistrat, il y a trois mois encore, la Silleraye était comme une de ces îles sauvages, dont les habitants se cachent à l’approche des voyageurs.

— Et, reprit le jeune lieutenant, quel est le voyageur qui leur a appris à se montrer de si bonne grâce ?

— Ce voyageur est une voyageuse, reprit finement le magistrat.

Mme Ida Pfeiffer peut-être ?

— Non, c’est Mme Gilbert, la femme du nouveau percepteur, une jeune femme en robe de soie gris perle, montante, et qui ne dansait pas. C’est sa jeune sœur qui était en robe de mousseline blanche, avec des nœuds de rubans bleus.

— La reine du bal ! s’écria le lieutenant avec enthousiasme.

— J’aime autant sa sœur ! dit un capitaine.

— Moi aussi, ajouta le vieux magistrat. Mais, lieutenant, nous ne nous couperons pas la gorge à propos de nos préférences. Il y a un moyen d’arranger tout ; mettons que Mme Gilbert était la reine de la magistrature assise, et sa sœur la reine de la magistrature debout. »

Semblable à la troupe des Grecs, qui fit entendre un murmure d’approbation après le discours du prêtre Chrysès, la patrouille fit entendre un murmure d’approbation après les paroles du vieux magistrat.

Le lieutenant, qui aimait à s’instruire, demanda au magistrat quel système Mme Gilbert avait employé pour amadouer les indigènes.

« Aucun système, répondit le magistrat ; son mari l’appelle la charmeuse d’enfants, et le fait est qu’elle a un don naturel pour attirer les enfants, pour leur parler, pour se faire obéir. Elle a eu pitié, en passant, d’un petit enfant infirme, qui est le neveu de