Page:Maman J. Girardin.pdf/92

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« On n’a pas besoin de moi pour le moment, dit-il d’un air capable ; aux montées, les chevaux vont tout seuls. Oh ! si tu savais, ajouta-HI à demi-voix, comme c’est difficile et dangereux de conduire, mais comme c’est amusant ! Tu tires les guides de ce côté, les chevaux vont de l’autre côté ; tu tires de ce côté-là, et les chevaux vont de ce côté-ci. Tu comprends bien ? Mais il faut savoir tirer ! Sans cela, si tu tires trop fort, les chevaux s’en vont dans le fossé et la diligence fait la culbute avec tous ceux qui sont dedans, palatras ! Et puis, tu sais, la diligence doit toujours suivre la droite de la route pour ne point se cogner contre les voitures qui viennent ; et alors, quand il y a déjà à droite une voiture devant vous, qui va moins vite que vous, on tourne à gauche pour la dépasser, tiens ! comme ça ; et puis on regagne sa droite, comme ça. Je te réponds qu’il ne faut pas perdre la tête. Aussi j’avais toujours l’œil sur mes chevaux. Et à la descente d’une côte, sais-tu ce qu’on fait ?

— Non, répondit Louise ingénument.

— Au fait, reprit Georges d’un ton protecteur, tu ne peux pas savoir, toi, tu es une petite fille.

— Il y a des dames qui conduisent, » objecta timidement la petite fille. Cet argument étonna le jeune conducteur, mais pas pour longtemps.

« C’est vrai, reprit-il d’un air triomphant, il y a des dames qui conduisent, mais pas des diligences ! Aux descentes, pour empêcher la diligence de rouler trop vite et de bousculer les chevaux, on tourne une manivelle qui ressemble à la poignée d’un moulin à café, mais qui est bien plus grosse. Alors il y a une machine qui marche et qui applique une autre machine contre les roues ; alors ça frotte et les roues ne tournent plus si vite. Comprends-tu ? »

Louise fit signe qu’elle comprenait ; mais quelque chose avertit son frère qu’il abusait de ses avantages et de sa supériorité. Il se hâta d’ajouter:

« C’est joliment dur, va, les guides, et j’en ai les mains toutes coupées. La manivelle pour les descentes, je n’ai pas pu la faire tourner: c’était trop fort pour moi. »

Content d’avoir fait cet aveu magnanime, il reprit d’un ton confidentiel: « M. Pichon dit que je l’ai joliment aidé, et que je pourrai conduire sans accrocher et sans verser. Je demanderai à papa s’il veut que je sois conducteur ? »