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de 2 ou 300 mètres. Partout ailleurs on côtoie des croupes de montagne dans lesquelles on a taillé des lacets avec une hardiesse qui fait bien de l’honneur aux ingénieurs chargés des études. Une de ces courbes, connue sous le nom du Horse Shoe Bend, a été jugée digne d’être représentée sur tous les prospectus et indicateurs de la Compagnie. Elle est tellement accentuée, qu’un train qui descend commence par passer à 200 mètres environ de nous, de l’autre côté d’un précipice, avant de nous croiser, un kilomètre plus bas.

À peu de distance du tunnel qui nous a fait franchir le faîte de la montagne, nous arrivons à Cresson, une station thermale très fréquentée, où l’on a construit, tout près de la gare, un immense caravansérail dans un site ravissant. Puis la descente commence. Nous longeons, presque tout le temps, un torrent nommé le Conemaugh Creek, qui roule vers la plaine, de cascade en cascade, toutes les eaux, teintées de rouge par le sol ferrugineux, que lui apporte chaque petite vallée de la montagne. Ce pays-ci doit être le paradis des pêcheurs de truites. Il paraît, du reste, que les baigneurs de Cresson n’ont, en fait de sport, que l’embarras du choix, et qu’ils trouvent à tirer, dans les environs, d’innombrables cerfs et même quelques ours. Dans tous les cas, ils peuvent se vanter de passer leur saison d’eaux dans un des plus beaux pays que j’aie jamais vus.

À neuf heures, nous atteignons Pittsburgh, sur la Mononghahela : une ville de 200,000 habitants, en comptant ceux qui habitent un faubourg peu éloigné nommé Alleghany-City. C’est l’un des centres métallurgiques les plus importants de toute l’Amérique. La nuit, très noire, est illuminée par les feux d’innombrables hauts fourneaux qui flamboient à l’horizon. Nous ne nous y arrêtons qu’un instant, et puis nous repartons, au milieu des roulements d’un formidable orage.

Nous traversons même plusieurs villes importantes. On sent un ferment de vie bouillonner partout.

Que de changements se sont produits ici depuis cinquante ans ! Nous sommes encore dans l’Indiana ; mais nous allons entrer dans l’Illinois, qui contient maintenant presque autant d’habitants que la Belgique : 3,078,636, au dernier recensement. Précisément, ces jours derniers, un vieux vétérinaire belge me racontait ses débuts dans ce pays, en 1836, je crois. Il voyageait dans un chariot, avec toute une caravane. Chaque jour, on tuait le gibier nécessaire à la nourriture du lendemain. Un soir, il s’était éloigné du campement, en suivant un ruisseau. Arrivé à un endroit où une digue de castors avait formé un petit étang, il descendit se cacher dans les roseaux qui le bordaient, espérant tirer des canards à l’affût. Il y était depuis quelques minutes, quand un bruit sourd lui fit retourner la tête. À quelques pas de lui, sur le haut de la berge, défilait une bande de cent ou cent cinquante Indiens, à cheval, le buste nu,