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étage, qui se compose de deux chambres, d’un salon et d’une salle de bain. Tout cela est éclairé par vingt-deux becs de gaz : nous les avons comptés. Les lits sont excellents et d’une propreté admirable. La salle de bain, où l’eau chaude et froide arrive jour et nuit, est garnie de : piles de serviettes et de savons de toutes les formes et de toutes les couleurs : il y a des tapis partout, et une pancarte clouée à la porte nous apprend que tout cela, y compris quatre repas par jour, nous coûtera 20 francs par tête. Je ne puis m’empêcher de consigner ces chiffres, parce qu’ils me semblent absolument inexplicables, étant donnée surtout la valeur de l’argent dans ce pays. Depuis que je-suis en Amérique, je ne cesse de m’extasier sur la cherté des fiacres et sur le bon marché des hôtels. Dans tous les pays du monde où j’ai voyagé, et la liste commence à être longue, en payant mes notes d’hôtel, j’ai toujours eu la conscience que j’étais volé. Ici, quand j’examine ma note, je me sens pris de scrupules, et j’ai envie de demander au clerk s’il est bien sûr de ne pas s’être trompé à son désavantage.

Tout en déjeunant, nous avons tenu conseil pour décider de nos faits et gestes. Nous avons quarante-huit heures à passer à Chicago : comment des touristes consciencieux doivent-ils employer ce temps ? Le Guide-book, que nous avons admis en tiers dans nos délibérations, et auquel nous en référons, nous donne tous les renseignements désirables. Au fond, j’aimerais assez une promenade sur le port, suivie d’une pêche à la ligne dans le lac. Il paraît que le Michigan recèle dans ses ondes des truites grosses comme des cachalots et des perches merveilleuses. Mais ma proposition est accueillie d’une façon si méprisante par M…, que je n’ose pas insister. On vient à Chicago, affirme-t-il ; non pour pêcher à la ligne, mais, pour voir tuer des cochons. Il est donc décidé que nous irons voir tuer des cochons. Du reste, je suis moi-même assez curieux d’aller voir cela. Un capitaine marseillais m’a ; dans le temps, décrit les procédés employés. Il affirmait que les cochons étaient amenés, par leurs propriétaires, à l’orifice d'un mécanisme très compliqué, mû par la vapeur. On mettait la machine en train, et, au bout de deux. minutes, le cochon reparaissait à l’autre extrémité, transformé en saucisses. Si celles-ci n’étaient pas suffisamment assaisonnées ou que, pour toute autre, cause, l’opération n’eût pas donné des résultats satisfaisants, il suffisait ; disait-il, de faire aller la machine en arrière, pour voir reparaître le cochon tout en vie et prêt à subir un nouvel essai. J’ai toujours soupçonné les récits du capitaine d’être empreints d’une certaine exagération ; aussi je ne suis pas fâché de voir les choses par moi-même.

Comme nous avons négligé de nous munir de lettres de recommandation pour M. Armour, l’Attila des cochons, nous allons exposer notre cas au banquier auprès duquel nous sommes cré-