Page:Marcel Schwob - Œuvres complètes. Écrits de jeunesse.djvu/188

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Malgré cette précaution, il tomba une fois dans la rue : il fut tout à fait incapable de se relever, et deux jeunes dames qui aperçurent l’accident coururent l’aider. Avec sa grâce habituelle, il les remercia chaudement et présenta à l’une d’elles une rose qu’il tenait à la main. Cette dame ne connaissait point Kant personnellement, mais elle fut charmée de son présent. Elle conserve encore la rose, frêle souvenir de sa passagère entrevue avec le grand philosophe.

Cet accident, comme j’ai raison de croire, fut cause qu’il renonça désormais à tout exercice. Tous ses travaux, même les lectures, ne s’accomplissaient plus que lentement et avec un effort manifeste, et ceux qui lui coûtaient quelque activité corporelle devinrent épuisants. Ses pieds lui refusèrent de plus en plus leur office : il tombait continuellement, parfois en traversant la chambre, même quand il se tenait debout immobile. Pourtant dans ses chutes, il ne se blessait jamais ; et il en riait sans cesse, affirmant qu’il était impossible qu’il se fît du mal par l’extrême légèreté de sa personne, laquelle était réduite alors à n’être plus qu’une pure ombre humaine. Très souvent, surtout le matin, il s’endormait sur sa chaise par pure lassitude et épuisement : il lui arrivait alors de tomber sur le plancher d’où il lui était impossible de se relever, jusqu’à ce que le hasard ait amené un de ses domestiques ou de ses amis dans la chambre. Plus tard on remédia à ces chutes en lui donnant un fauteuil à bras circulaires qui se joignaient par devant.

Ces brusques assoupissements l’exposaient à un autre danger : il tombait sans cesse pendant qu’il lisait, la tête dans les chandelles. Un bonnet de