Page:Marcel Schwob - Œuvres complètes. Écrits de jeunesse.djvu/193

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un nouveau domestique nommé Kauffmann et, le jour suivant, Lampe fut congédié avec une belle pension viagère.

Ici je dois mentionner une petite circonstance qui fait honneur à la bonté de Kant. Dans son testament, persuadé que Lampe le servirait jusqu’à sa mort, il lui avait ordonné une généreuse donation ; mais sur cette nouvelle disposition de rente viagère, laquelle devait être payée immédiatement, il devint nécessaire de révoquer cette partie de son testament : ce qu’il fit en un codicille séparé qui commençait ainsi : “Par suite de la mauvaise conduite de mon serviteur Lampe, je juge bon, etc.” Mais bientôt après, songeant qu’un témoignage si solennel et si délibéré sur la conduite de Lampe pourrait porter sérieux préjudice à ses intérêts, il effaça ces lignes et les libella en telle façon qu’aucune trace ne demeura de son juste déplaisir. La douceur de sa nature fut charmée par la conscience que, cette seule phrase rayée, il n’en restait point d’autres en ses nombreux écrits, publics ou confidentiels, qui portât la marque de la colère, pût laisser quelque raison de douter qu’il était mort en parfait état de charité avec l’univers. Lorsque Lampe vint demander un certificat, il fut toutefois très embarrassé. Le respect bien connu de Kant pour la vérité, si ferme et si inexorable, était en cette circonstance cuirassé contre ses premiers mouvements de générosité. Longtemps, il demeura assis, anxieux, le certificat devant lui, se demandant comment il en remplirait les blancs. J’étais là ; mais en une telle affaire, je ne me permis pas de suggérer un conseil. Enfin il prit la plume et remplit le blanc ainsi qu’il suit : “M’a servi longtemps et avec