Page:Marcel Schwob - Œuvres complètes. Écrits de jeunesse.djvu/300

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
FAUST

Cercle vicieux qui m’emporte sans cesse
Ne vas-tu pas t’arrêter avec moi !
Dans mon cerveau ta volonté me presse,
Je voudrais être en mon royaume roi.

 

Tu n’es qu’une équation à racine infinie,
Une courbe qu’on voit et qu’on ne saisit pas,
Et je parcours toujours une route finie,
Et, voyageur lassé, je reviens sur mes pas.


Je voudrais être hors du Temps et de l’Espace,
Et hors de mon cerveau — hors de moi-même, enfin
Le repos éternel, de ne plus voir ma trace —
Et de me perdre dans l’infini de ma fin !


Je hais mon propre moi, je voudrais être un autre,
Ou m’abîmer au fond d’un abîme géant :
Je voudrais être fou — je voudrais être apôtre —
Et croire — car on ne peut pas croire au Néant.

FAUST entre et dit :

Et je suis fatigué ! je suis las à mourir !
Venez à moi, visions veules !
Je voudrais être mort, au cercueil, et pourrir,
Et vous seriez avec moi seules !
J’ai voulu voir la science et j’ai vu le néant ;
J’ai plongé mes regards dans le gouffre béant
Qui vous ouvre ses mille gueules,
Et je suis revenu du voyage, très las,
J’ai battu du tambour, j’ai sonné des flas-flas :
L’univers m’a broyé sous ses meules.
Lorsque j’étais petit je jouais au soleil,
J’aimais courir dans la montagne,