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Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/112

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pour qu’une vue de quelque portée ne perdît rien de ce qui se passait dans un rayon de cinquante milles.

(22) Nous y restâmes en observation deux jours entiers, sans rien voir. Mais au lever du troisième, tout l’espace circulaire qu’embrassait le regard, et qu’on appelle l’horizon, nous sembla se couvrir d’escadrons innombrables. Le roi se montrait à leur tête dans son plus brillant costume. À sa gauche marchait Grumbatès, roi des Chionites, prince de moyen âge, et déjà couvert de rides, mais d’un cœur élevé, et qui avait illustré son nom par plus d’une victoire. À sa droite était le roi des Albains, l’égal de ce dernier en rang et en considération. Après eux venaient plusieurs chefs distingués et puissants ; puis une multitude guerrière, l’élite des nations voisines, et depuis longtemps endurcie contre les fatigues et les dangers.

(23) Que la Grèce raconte donc tant qu’elle voudra la grande revue passée en Thrace à Dorisque, et ce recensement fabuleux opéré dans une étroite enceinte : nous sommes, nous, plus circonspects ou plus timides, et nous n’énonçons que ce qui peut se prouver par des témoignages authentiques et incontestables.

Chapitre VII

(1) Les rois alliés traversèrent Ninive, ville principale de l’Adiabène, et continuèrent résolument leur marche, après avoir offert un sacrifice au milieu du pont sur l’Auzabe, et consulté les entrailles des victimes, qui se trouvèrent favorables. Quant à nous, conjecturant que le reste de l’armée mettrait au moins trois jours à défiler, nous revînmes au plus vite chez le satrape nous reposer de nos fatigues.

(2) Puis, avec cette force qu’on puise dans la nécessité, nous retournâmes vers les nôtres, en franchissant plus rapidement que nous ne l’avions cru le désert qui nous séparait d’eux. Nous pûmes alors leur donner la certitude que les Perses avaient jeté un pont de bateaux, et qu’ils marchaient droit devant eux, en gens qui connaissent le chemin.

(3) On envoya aussitôt des cavaliers porter l’ordre à Cassianus, duc de Mésopotamie, et à Euphrone, gouverneur de la province, de faire replier les habitants avec le bétail ; d’évacuer la ville de Carrhes, dont les murs étaient en mauvais état ; et enfin d’incendier les campagnes, afin que nulle part l’ennemi ne trouvât à subsister.

(4) L’exécution suivit sans délai. Les moissons qui commençaient à jaunir, et jusqu’aux jeunes herbes, tout fut la proie des flammes ; si bien que du Tigre à l’Euphrate on ne voyait plus trace de verdure. Il périt dans cet embrasement une multitude de bêtes fauves, et notamment de lions, qui sont dans ce pays d’une férocité extraordinaire, mais qu’une cause toute locale frappe souvent de mort ou de cécité, comme on va le voir.

(5) Ces animaux se trouvent surtout parmi les roseaux et les fourrés entre les deux fleuves. Ils ne font aucun mal pendant l’hiver, qui est assez doux. Mais une fois que le soleil darde ses rayons d’été sur cette terre desséchée ; qu’une vapeur ardente a commencé d’embraser l’atmosphère, des nuées de moustiques, inévitable fléau de ces contrées, ne laissent plus aux lions un instant de repos. Ces insectes s’attaquent à leurs yeux, dont le brillant et l’humidité les attirent, se fixent aux membranes des paupières, et les criblent de leurs morsures. Les lions, exaspérés, ou plongent dans les eaux et s’y noient, en cherchant remède à cette poignante torture ; ou, s’appliquant aux yeux leurs propres ongles, les crèvent, et deviennent furieux. Sans cela tout l’Orient serait infesté de ces animaux.