Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/145

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mêlée furieuse s’engage dans les rues ; on se joint corps à corps, on s’égorge sans pitié.

(15) Les nôtres, pressés de toutes parts, résistent quelque temps avec l’énergie du désespoir, et sont enfin contraints de céder au nombre. Mais le glaive du vainqueur n’en frappe pas moins sans relâche et sans distinction. L’enfant arraché du sein nourricier meurt avec sa mère, victimes tous deux d’une fureur qui ne sait rien respecter. Au milieu de cette scène d’horreur, l’ennemi n’oublie pas le pillage ; il se charge d’immenses dépouilles, et regagne ses tentes en triomphe, poussant devant lui des milliers de captifs.

(16) La conquête de Phénice remplit Sapor d’une joie immodérée. Il convoitait dès longtemps cette place, dont la situation offre tant de précieux avantages. Aussi ne voulut-il s’éloigner qu’après avoir fait solidement réparer les parties de rempart qui avaient souffert du siège. Il approvisionna complètement la ville, et choisit les plus distingués de son armée par la naissance et par les talents militaires, pour leur en confier la défense. Il appréhendait effectivement (et l’événement confirma ses prévisions) que les Romains, ne pouvant se résigner à la perte d’un boulevard de cette importance, ne fissent les derniers efforts pour le reconquérir.

(17) De là poursuivant sa marche, dans la confiante présomption de tout soumettre devant lui, il enleva, chemin faisant, un certain nombre de bicoques, et vint mettre le siège devant Virta, forteresse de très ancienne origine, puisque la tradition lui donne pour fondateur Alexandre de Macédoine. Cette place, située sur l’extrême frontière de la Mésopotamie, et pourvue de fortifications à angles saillants et rentrants, était d’ailleurs munie de toutes choses nécessaires pour la rendre imprenable.

(18) Sapor épuisa près de la garnison les plus séduisantes promesses et les menaces les plus terribles. Il fit mine de l’attaquer par des terrassements, de la battre par des machines ; mais, en définitive, il se vit contraint à la retraite, sans même avoir fait autant de mal qu’il en avait reçu.

Chapitre VIII

(1) Tous ces événements s’étaient accomplis entre le Tigre et l’Euphrate, dans la période d’une année. Constance, qui de Constantinople, où il séjournait, en avait su les détails par ses fréquents courriers, voyait une invasion des Perses imminente, et s’appliquait à lui opposer tous les moyens de défense en son pouvoir. Il ramassait des armes, levait des soldats, recrutait ses légions d’hommes jeunes, valides, et déjà éprouvés dans les guerres d’Orient. Il cherchait aussi à s’assurer le concours officieux ou intéressé des Scythes, afin d’être sans inquiétude sur la Thrace quand il la quitterait au printemps, pour se porter sur le théâtre des hostilités.

(2) Pendant ce temps Julien, toujours dans ses quartiers d’hiver de Paris, réfléchissait avec anxiété sur le pas qu’il venait de faire. Il savait le peu d’affection que lui portait Constance, et ne se flattait pas que ce prince pût jamais souscrire au nouvel ordre de choses.

(3) Enfin il s’arrêta à l’idée de lui envoyer une députation chargée d’entrer dans le détail des faits, en y joignant une apologie écrite, où lui-même il exposerait ses intentions, et ce qu’il conseillait pour l’avenir.

(4) Julien ne doutait pas cependant que déjà Constance ne fût instruit de tout, et par le rapport des officiers de la chambre, qui venaient de quitter les Gaules après lui avoir fait les remises ordinaires