Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/254

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à fuir et à s’abriter, avec un petit nombre des siens, derrière les défenses peu sûres d’Hibita, et enfin à vivre du pain que lui offrait une vieille paysanne, était mort cependant sans avoir cédé un pouce du territoire de l’empire, tandis que Jovien, pour prélude de son règne, abandonnait la clef de ses provinces, une ville qui de temps immémorial avait été la sauvegarde de l’Orient.

(4) Jovien ne s’en montra pas plus ému, toujours retranché derrière la religion du serment. Mais au moment où, cédant aux instances qui lui furent faites, il acceptait l’hommage ordinaire d’une couronne, après l’avoir longtemps refusé, un avocat nommé Sylvain, laissa échapper cette parole hardie : "Puissiez-vous, ô prince, être couronné de même par les villes qui vous restent" Cette fois il fut piqué au vif, et prononça, au milieu des malédictions données à son règne, l’ordre d’évacuer la ville sous trois jours.

(5) L’exécution de cet ordre fut appuyée par la force armée, qui ne laissait d’alternative que l’obéissance ou la mort pour les retardataires. Un immense cri de douleur remplit alors toute la ville, et ce ne fut partout que lamentations et gémissements. Ici une matrone de haut rang, chassée de ses pénates, s’arrachait les cheveux de douleur en quittant les murs qui l’avaient vue naître et arriver à l’âge de femme ; là une mère, une veuve disait un éternel adieu aux cendres de son époux et de ses enfants. On voyait une, foule de malheureux baiser convulsivement, inonder de larmes la porte ou le seuil de leur demeure.

(6) Toutes les routes étaient encombrées. Chacun saisissait à la hâte ce qu’il croyait pouvoir transporter, et abandonnait le reste, précieux ou non, faute de moyens de transport.

(7) O fortune du peuple romain, c’est toi qu’il faut accuser ici ! Tu vas, lorsqu’une tourmente ébranle cet empire, lui enlever une direction habile et ferme, pour confier les rênes à des mains neuves à l’exercice du pouvoir. Ni louange ni blâme ne sont dus au prince soumis à une pareille épreuve, et que rien dans sa vie antérieure n’appelait à la soutenir.

(8) Mais ce que ne pardonnent pas les gens de cœur dans l’homme qui n’avait qu’une inquiétude, celle de voir surgir un rival ; qu’une préoccupation, celle que quelque ambitieux ne remuât en Italie ou dans les Gaules ; qu’un désir enfin, celui que sa présence pût prévenir même le bruit de son retour ; c’est cette hypocrisie de respect pour la foi jurée, dont il a tenté de couvrir la déshonorante reddition de Nisibe, de cette Nisibe qui, dès le temps de Mithridate, servait à l’Orient de barrière contre l’invasion des Perses.

(9) Depuis le berceau de Rome on ne trouverait pas, je crois, dans nos annales l’exemple d’une cession quelconque de territoire faite à un ennemi par un empereur ou un consul. Alors le recouvrement même d’une province n’emportait pas les honneurs du triomphe : il fallait, pour les mériter, avoir reculé nos limites.

(10) Cette gloire fut refusée à Scipion, qui avait rendu l’Espagne à la domination romaine ; à Fulvius, qui reprit Capoue après une guerre si prolongée ; à Opimius, vainqueur dans cette lutte acharnée qui remit Frégelles en notre pouvoir.

(11) Notre histoire fait foi que des traités honteux, arrachés toutefois par la nécessité même et solennellement jurés, ont été rompus et les hostilités immédiatement reprises : témoin nos légions passant jadis sous le joug samnite aux Fourches Caudines ; et l’indigne convention d’Albinus en Numidie ; et cette paix