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Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/269

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leur arrivée dans la ville, on les circonvenait par toutes sortes d’offres et de caresses. Leur réunion formait déjà le noyau d’une armée. Fascinés par les séductions de Procope, tous s’engagèrent, sous les plus forts serments, à le servir jusqu’à la mort.

(10) Il avait imaginé un excellent moyen d’agir sur leurs esprits : c’était de parcourir les rangs, tenant dans ses bras la jeune fille de l’empereur Constance, dont le nom était toujours cher à l’armée. Il voulait associer par là l’autorité des souvenirs aux droits personnels qu’il prétendait dériver de sa parenté avec Julien. Fort à propos l’impératrice Faustine avait mis à sa disposition, pour cette parade ; quelques pièces du costume impérial.

(11) Procope avait encore un projet, qui demandait à la fois décision et prudence : c’était de s’emparer de l’Illyrie. Mais les agents dont il fit choix, incapables ou étourdis, crurent avoir tout fait en payant d’audace, avec quelques pièces d’or répandues à l’effigie du nouveau prince, et autres combinaisons de cette force. Aussi tombèrent-ils bientôt dans les mains d’Équitius, commandant militaire du pays, qui les fit tous périr par divers supplices.

(12) Pour prévenir le retour de pareilles tentatives, Équitius fit étroitement garder les trois défilés qui forment communication entre l’empire d’Orient et les provinces du nord ; savoir, le passage par la Dacie riveraine du Danube, le célèbre pas de Sucques, et celui qui est connu sous le nom d’Acontisma, en Macédoine. Cette précaution fit perdre à l’usurpateur jusqu’à l’espoir d’obtenir jamais l’Illyrie, et lui enleva les importantes ressources qu’il en aurait pu tirer.

(13) Valens, que l’effrayante nouvelle de la rébellion avait fait brusquement rebrousser chemin par la Gallo- Grèce, ne s’avançait plus qu’avec crainte et défiance, une fois informé avec détail de ce qui s’était passé à Constantinople. Son jugement en était troublé. Le découragement s’empara de son âme au point qu’il songeait à se débarrasser du fardeau trop lourd pour lui de la pourpre ; et il eût accompli ce lâche dessein sans les instances de ses amis. Revenu cependant à lui-même, il donna l’ordre que les deux légions des Joviens et des Victorins marchassent contre les rebelles.

(14) À leur approche, Procope, qui venait d’entrer à Nicée, revint sur ses pas avec les Divitenses et le gros de déserteurs dont il avait pu s’entourer.

(15) Au moment où l’on s’abordait, il s’avança seul au milieu des traits lancés des deux parts, de l’air d’un homme qui veut en provoquer un autre au combat singulier. Cette fois encore il fut inspiré par la fortune. Dans les rangs opposés se trouvait un certain Vitallien : on ne sait même si Procope le connaissait. Toujours est-il que, le saluant amicalement de la main, il lui adressa en latin ces paroles, au grand étonnement de chacun :

(16) "Voilà donc, s’écria-t-il, cette antique fidélité du soldat romain, cette religion du serment, jadis inviolable ! Tant de braves gens vont en aveugles tirer l’épée pour des inconnus et trouvent bon qu’un misérable Pannonien, oppresseur imbécile, jouisse en paix d’un pouvoir à la possession duquel sa pensée n’eût jamais osé s’élever ; tandis que nous en sommes réduits, nous, à gémir sur nos maux et sur les vôtres. Le devoir, dites-moi, ne vous commande- t-il pas plutôt de vous rattacher