Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/291

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fort (car il doutait peu de lui-même) de découvrir, pour atteindre le sommet, quelque sentier qui aurait échappé aux regards des éclaireurs.

(11) Il s’égara dans un marécage, et faillit périr dans une embuscade qui l’attendait au détour d’un rocher ; mais poussant, comme dernière ressource, son cheval sur une pente roide et glissante, il réussit à regagner l’abri de ses légions. Il échappa de si peu, que son écuyer, qui portait son casque enrichi d’or et de pierreries, disparut avec sa charge, sans qu’on ait jamais pu savoir ce qu’il était devenu.

(12) Dès que l’armée eut pris quelque repos, l’étendard se déployant donna le signal ordinaire, accompagné du retentissement. des clairons. Alors deux jeunes guerriers d’élite, l’un scutaire, l’autre du corps des gentils, devancent d’un élan rapide la marche animée de leurs bataillons, invitant d’une voix terrible leurs compagnons d’armes à les suivre. Les voilà aux escarpements du mont, brandissant leurs lances et s’efforçant, en dépit de l’ennemi de franchir cet obstacle. Le gros de l’armée arrive, et, par des efforts surnaturels, parvient sur leurs traces, à travers les buissons et les rochers, à gagner enfin les hauteurs.

(13) Alors les fers se croisent, et la lutte s’engage entre la tactique et la férocité brutale. Étourdi du bruit des trompettes et du hennissement des chevaux, les barbares se troublent, en voyant notre front de bataille s’étendre et les enfermer dans ses deux ailes.

(14) Ils se rassurent néanmoins, et continuent à se battre de pied ferme. Un moment le carnage est égal et la victoire indécise.

(15) Enfin l’ardeur romaine l’emporte. L’effroi s’empare des ennemis, et la confusion qui se met dans leurs rangs les livre aux coups sans défense. Ils veulent fuir ; mais, épuisés de fatigue, ils sont pour la plupart joints par les nôtres, qui n’ont plus que la peine de tuer. Les corps jonchaient par masses le champ de bataille. Quant à ceux qui le quittèrent vivants, une partie vint donner sur le corps de Sébastien, qui les attendait sans se montrer au pied de la montagne, et fut taillée en pièces. Le reste courut, à la débandade, chercher refuge au fond de ses forêts.

(16) Nous eûmes aussi dans ce combat des pertes assez sensibles. Valérien, chef des domestiques, resta parmi les morts, ainsi que le scutaire Natuspardo, soldat d’une bravoure comparable à celle des Sicinius et des Sergius. Après cette victoire, chèrement achetée, on reprit les quartiers d’hiver, l’armée dans ses cantonnements, les deux empereurs à Trèves.

Chapitre XI

(1) Vulcace Rufin venait de mourir en fonctions. On appela de Rome, à la préfecture du prétoire, Probus, recommandé par une naissance illustre et d’immenses richesses. Il comptait des possessions sur presque tous les points de l’empire ; bien ou mal acquises, c’est ce dont je n’ai pas la prétention de juger.

(2) On peut dire, en empruntant le langage des poètes, que la Fortune le porta sur ses ailes rapides. Il y avait deux hommes en lui ; l’un ami généreux et dévoué, l’autre ennemi dangereux et vindicatif. Malgré tout ce qu’auraient dû lui donner de confiance et d’aplomb ses immenses largesses et l’habitude du pouvoir, Probus baissait le ton dès qu’on le prenait haut avec lui, et n’était le grand personnage qu’avec les humbles :