Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/302

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décide brusquement que l’accusé principal et Anepsia comparaîtront en sa présence la nuit, temps où l’esprit se trouble plus aisément, sous l’impression de la terreur : témoin, entre mille autres exemples, l’Ajax d’Homère, qui veut la mort an grand jour, et sans le surcroît d’horreur dont l’environnent les ténèbres.

(55) Uniquement préoccupé d’accomplir sa tâche, le juge, ou plutôt le brigand détestable, dès qu’Aginace est amené devant lui, fait entrer une troupe de bourreaux ; et la torture, au milieu du cliquetis lugubre des chaînes, déchire sans pitié les esclaves du prévenu, exténués déjà par une détention prolongée, seulement pour tirer de leur bouche la condamnation de leur maître.

(56) Vaincue par l’excès des tourments, une servante laisse échapper quelques mots équivoques. Ce fut assez pour motiver, sans plus d’éclaircissements, l’ordre de traîner Aginace au supplice, nonobstant ses clameurs répétées : "J’en appelle au jugement des empereurs". Anepsia eut le même sort. Présent ou absent, par lui-même ou par ses délégués, voilà de quel deuil Maximin remplissait la ville éternelle.

(57) Mais satisfaction prompte fut donnée aux mânes de ses victimes. Ainsi que nous le dirons en son lieu, ce même Maximin paya de sa tête, sous le règne de Gratien, l’insolence de sa conduite. Simplicius fut massacré en Illyrie. Quant à Doryphorien, condamné à mort et jeté dans le Tullianum, il en fut d’abord tiré et rendu à ses foyers par les sollicitations de la mère de l’empereur ; mais le prince ne tarda pas cependant à le faire périr du plus affreux supplice.

Chapitre II

(1) Valentinien, dont le cerveau mûrissait des plans aussi vastes qu’utiles, fortifia d’une levée tout le cours du Rhin depuis la frontière de Rhétie jusqu’à l’océan Germanique, exhaussa les forts et les châteaux qui le bordaient du côté de la Gaule, et y ajouta, partout où les localités s’y prêtaient, une suite de tours liées entre elles, jetant même çà et là sur l’autre rive des ouvrages avancés qui rasaient le territoire barbare.

(2) Un de ces forts, situé sur les bords du Nicer, lui paraissant exposé à être un jour emporté par les eaux, il voulut détourner la rivière. Aussitôt les ingénieurs les plus habiles en hydraulique sont appelés, et une partie des bras de l’armée est employée à cette rude entreprise.

(3) On tenta vainement, plusieurs jours de suite, d’établir un batardeau au moyen de formes ou moules construits en pilotis serrés, et garnis dans les interstices de madriers de chêne : toujours la force du courant parvenait à délayer les matériaux, à surmonter et emporter les ouvrages.

(4) Cependant la forte volonté de l’empereur, bien secondée par le dévouement ou l’obéissance passive des soldats, qui souvent travaillaient dans l’eau jusqu’au menton, finit par triompher des obstacles. On y perdit quelques hommes ; mais le fort est maintenant debout, et préservé à toujours des insultes du fleuve.

(5) Enchanté de ce succès, Valentinien distribua l’armée dans ses quartiers d’hiver, et revint se livrer aux soins intérieurs du gouvernement. Convaincu toutefois que son système de défense,