Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/309

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amas de fainéants, de désoeuvrés. Dans cette tourbe, où tous n’ont pas de souliers, on se glorifie des noms d’élite de Messores, de Statarii, de Sémicupae, de Serapini ; ou bien encore, Cicymbricus, Gluturinus,Trulla, Lucanicus, Porclaca et Salsula.

(29) Boire et jouer, hanter les spectacles et les tavernes, les bouges de l’ivrognerie et de la prostitution, voilà chez ces gens-là toute la vie. Pour eux le grand cirque est le temple, le foyer, le centre de réunion, la somme de l’espoir et des voeux. Par les rues, sur les places, dans les carrefours, on ne voit que groupes où l’on se chamaille et s’injurie pour quelque point débattu.

(30) Il faut voir les Nestors de ces réunions, ceux qui ont assez vécu, proclamer avec l’autorité de l’expérience, et prendre à témoin leurs rides et leurs cheveux blancs, que la république est perdue si, dans la course qui va s’ouvrir, leur cocher favori ne prend pas d’abord la tête, ne rase pas la borne d’assez près.

(31) Toute cette populace croupit dans une paresse incurable. Mais que le jour désiré, le jour des jeux équestres, commence à luire, c’est chez tous à la fois un empressement, une précipitation, une lutte de vitesse à devancer les chars mêmes qui vont courir. Beaucoup ont passé la nuit au cirque, parqués en quelque sorte par factions, dans une attente fébrile du grand œuvre dont ils vont être témoins.

(32) Un mot maintenant sur l’avilissement de la scène. Les acteurs en sont chassés par les huées et les sifflets, à moins qu’on n’ait pris la précaution de payer à la canaille leur bienvenue. Autre vacarme alors : c’est l’expulsion des étrangers (où seraient-ils sans eux ?) que réclament les vociférations les plus hideuses, les plus sauvages. On pourrait se croire en Tauride. Quel contraste avec ce peuple d’autrefois, dont on cite encore les heureux dictons, les aimables saillies !

(33) On a encore imaginé cette formule d’applaudissement qu’à chaque représentation quelque interrupteur d’office jette au nez de tout acteur qui entre en scène, exodiaire, chasseur ou cocher ; qu’on adresse même, parmi les spectateurs, aux fonctionnaires grands ou petits, voire aux matrones romaines : "À vous de lui en remontrer." En remontrer sur quoi ? c’est ce que pas un ne saurait dire.

(34) Combien de ces affamés, flairant de loin la fumée des cuisines, ou guidés par les notes aiguës de ces femmes qui glapissent dans les rues, comme autant de paons, dès le point du jour, vont se glissant dans les salles à manger, et là, guindés sur leurs orteils, attendent, en se rongeant les ongles, que les plats refroidissent ! D’autres, de tous leurs yeux regardent cuire la viande, sans être rebutés des émanations nauséabondes de la chair sur le feu. Vous croiriez voir Démocrite entouré d’anatomistes, et promenant le scalpel dans les entrailles de quelque animal, afin de léguer à la postérité des remèdes pour nos maux internes.

(35) Mais c’est trop nous arrêter à Rome : les intérêts généraux nous rappellent dans les provinces.

Chapitre V

(1) Sous le troisième consulat de Valentinien et de Valens, les Saxons, sortis de leurs forêts,