Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/339

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pour lui que dans une prompte fuite. Prenant donc conseil de ses amis, il choisit dans son monde les trois cents cavaliers les mieux montés, et, décidé à payer d’audace, part résolument avec cette petite troupe, quoique déjà le jour fût près de finir.

(6) Le gouverneur de la province, aussitôt averti par l’officier de garde, court après lui, le rejoint dans le faubourg, et le presse vivement de revenir sur ses pas. Mais ses instances furent vaines, et il dut lui-même consulter sa sûreté en se retirant.

(7) On lance alors une légion sur les traces de Pap, qui, voyant cette troupe au moment de le joindre, fait volte-face avec ses meilleurs cavaliers, et lui envoie une volée de flèches tirées seulement en l’air, mais qui suffit néanmoins pour la mettre en déroute ; si bien que soldats et tribun s’en retournèrent plus vite qu’ils n’étaient venus.

(8) Nulle poursuite n’était plus à craindre. Mais, après deux jours d’excessive fatigue, la troupe, arrivée sur le bord de l’Euphrate, faillit s’y voir arrêtée court. Presque personne ne savait nager. Le chef n’était pas le moins consterné de la bande. Enfin, à force d’aviser, il leur vint à l’esprit un de ces expédients que la nécessité suggère.

(9) On se procura dans les habitations voisines un certain nombre de lits, sous chacun desquels on assujettit deux outres. Le pays est vignoble, cette ressource s’y trouvait à foison. Les nobles arméniens et le roi lui-même se risquèrent chacun sur un de ces lits, tirant après eux leurs chevaux, et fendant de biais le courant du fleuve. Ils gagnèrent ainsi l’autre rive, non sans avoir couru les plus grands dangers.

(10) Le reste passa à cheval et à la nage, luttant contre les flots, et souvent couverts par les lames. Tous atteignirent le bord, ruisselants, exténués, mais, après quelque repos, n’en continuèrent que plus lestement leur route.

(11) L’empereur fut consterné de l’évasion de Pap, dont il augurait la défection certaine. Il s’empressa de mettre en campagne le comte Daniel, Barzimère, tribun des scutaires, et mille archers légèrement armés, avec injonction expresse de lui ramener le fugitif.

(12) Ces deux officiers connaissaient parfaitement le pays ; et tandis que Pap perdait le bénéfice de sa célérité par les circuits que son ignorance des localités lui faisait faire, ils parvinrent, en prenant un défilé, à le devancer et à lui couper la route ; puis de leurs forces combinées, occupèrent deux chemins séparés l’un de l’autre de trois milles, entre lesquels Pap n’avait que le choix, et s’y tinrent prêts à l’écraser. Le hasard seul déjoua leur plan.

(13) Un voyageur qui rentrait sur notre territoire, trouvant les deux voies fermées par cette double embuscade, prit, pour éviter les troupes, un sentier intermédiaire très fourré, et s’en vint donner au milieu des Arméniens, qui se reposaient. Conduit au roi, il lui fit secrètement part de ce qu’il avait vu, et fut retenu près de lui, sans qu’on lui fit aucun mal.

(14) Pap, sans rien laisser percer de la confidence qu’il avait reçue, dépêcha aussitôt un cavalier par la route de droite, avec ordre de préparer des logements et des subsistances ; et dès qu’il l’eut vu s’éloigner, en dirigea, par la route de gauche, un second, qui ne savait rien de la commission donnée à son camarade.

(15) Cette précaution prise, il n’hésita pas à s’engager lui et les siens, guidé par le voyageur, dans le sentier par où celui-ci était venu, lequel avait à peine la voie d’un cheval