Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/53

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guides les paysans des environs. Ce pas franchi, on marche en plaine l’espace de sept milles jusqu’à la station de Mars. Là se dresse devant vous un pic plus élevé, plus difficile encore à gravir, et dont le point culminant a pris le nom de la Dame, depuis l’accident arrivé à une femme de qualité. De là on ne fait plus que descendre en pente douce jusqu’au fort de Virgance[1]. Le tombeau du petit souverain constructeur des routes dont nous avons parlé se voit sous les murs de Suse. Un double motif de vénération s’attache à sa mémoire : il gouverna son peuple avec équité, et, par son alliance avec nous, lui assura la paix à toujours.

La route dont nous venons de parler est effectivement la plus courte, la plus directe et la plus fréquentée ; mais antérieurement il en avait été ouvert d’autres à diverses époques. La plus ancienne est l’œuvre de l’Hercule thébain ; et ce travail fut à peine un temps d’arrêt pour le héros, lorsqu’il courait donner la mort à Géryon et à Taurisque. Cette voie longe les Alpes maritimes, auxquelles Hercule donna le nom d’AIpes Grecques. La citadelle et le port de Monaco sont encore d’éternels monuments de son passage dans ces contrées. Cette chaîne, plusieurs siècles après, prit le nom d’Alpes Poenines : voici à quelle occasion. Publius Cornélius Scipion, père du premier Africain, chargé de porter secours à Sagonte, si célèbre par sa constance et par ses malheurs, et dont le siège était alors vivement poussé par les forces puniques, faisait voile vers l’Espagne avec une flotte montée par un corps de troupes considérable. Mais déjà les armes de Carthage avaient prévalu ; le désastre était consommé : Scipion ne pouvait se flatter d’atteindre par terre Annibal, qui avait déjà passé le Rhône, et qui était depuis trois jours en pleine marche vers l’Italie. La mer lui offrait un trajet plus court. Par une navigation rapide, il revint se placer en observation devant Gênés, ville de la Ligurie, se tenant prêt dans l’occasion à fondre sur l’ennemi au moment où il déboucherait en plaine, harassé par les difficultés de la route. La prévoyance de Scipion ne s’en tint pas là : il envoya son frère contenir en Espagne l’armée d’Asdrubal, qui menaçait Rome d’une double invasion. Mais Annibal fut averti de la présence de Scipion par des transfuges ; et comme il n’avait pas moins de décision dans l’esprit que de finesse, il prit à Turin des guides qui le conduisirent dans une autre direction, par le Tricassin[2] et l’extrême frontière des Voconces[3], jusqu’aux défilés des Tricores[4]. Là il s’ouvrit un passage où nul ne s’en était frayé avant lui, en perçant une énorme roche, amollie au moyen d’un grand feu et de vinaigre qu’il y avait fait répandre ; puis, traversant le lit vagabond et dangereux de la Durance, il envahit soudain les campagnes d’Étrurie. Mais c’en est assez sur les Alpes ; parlons du reste de la Gaule.

XI. Il parait qu’en remontant à une époque reculée, où la Gaule barbare était tout à fait inconnue, on trouve le pays divisé entre trois races bien distinctes, les Celtes ou Gaulois, les Aquitains et les Belges ; toutes trois différentes de langage, de coutumes et de gouvernement. Entre les Aquitains et les Celtes ou Gaulois, la limite naturelle est la Garonne, fleuve qui prend naissance dans les Pyrénées, et baigne des villes nombreuses

  1. Briançon.
  2. Saint-Paul Trois Châteaux.
  3. Vaison, en Dauphiné.
  4. District de Briançon.