Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/67

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cienne, il lui sembla, non pas comme à Cinéas, l’envoyé du roi Pyrrhus, voir devant lui une assemblée de rois, mais plutôt le conseil du monde entier. Ses regards se reportant sur les flots du peuple, il ne pouvait revenir de son étonnement au spectacle de cet universel rendez-vous du genre humain. Lui cependant, précédé de bataillons nombreux aux enseignes déployées, comme s’il se fût agi de terrifier ou le Rhin ou l’Euphrate, s’avançait seul sur un char d’or, où resplendissaient à l’envi les pierres les plus précieuses. Tout autour on voyait flotter les dragons attachés à des hampes incrustées de pierreries, et dont la pourpre, gonflée par l’air qui s’engouffrait dans leurs gueules béantes, rendait un bruit assez semblable aux sifflements de colère du monstre, tandis que leurs longues queues se déroulaient au gré du vent. Des deux côtés du char paraissait une file de soldats, le bouclier au bras, le casque en tête, la cuirasse sur la poitrine ; armes étincelantes, dont les reflets éblouissaient les yeux. Venaient ensuite des détachements de cataphractes ou clibanares, comme les appellent les Perses ; cavaliers armés de pied en cap, que l’on eût pris pour autant de bronzes équestres sortis de l’atelier de Praxitèle. Les parties de l’armure de ces guerriers correspondant à chaque jointure, à chaque articulation du tronc ou des membres, étaient composées d’un tissu de mailles d’acier si déliées et si flexibles, que toute l’enveloppe de métal adhérait exactement au corps sans gêner aucun de ses mouvements. Un tonnerre d’acclamations fit alors répéter le nom d’Auguste à l’écho des monts et des rivages. Constance en fut un instant troublé, sans quitter toutefois cette attitude immobile qu’il avait constamment montrée aux provinces. Se baissant, tout petit qu’il était, pour passer sous les portes les plus hautes, il portait. toujours le regard devant lui, ne tournant non plus la tête ni les yeux que si son col eût été contenu entre des éclisses. On eût dit une statue. Nul ne le vit faire un seul mouvement de corps aux cahots de son char, ni se moucher, ni cracher, ni remuer un doigt. C’était une affectation sans doute ; mais elle dénotait chez lui, en ce qui touche à la commodité personnelle, une abnégation bien peu commune, ou plutôt qui n’appartenait qu’à lui. J’ai, je crois, dit en son lieu qu’il s’était, depuis son avènement, imposé comme loi de ne faire monter personne avec lui dans sa voiture, et de ne souffrir aucun homme privé, comme son collègue au consulat ; condescendance de la grandeur assez commune chez d’autres têtes couronnées, mais où sa vanité ombrageuse ne voyait qu’une dérogation.

Enfin le voilà dans cette Rome, sanctuaire du courage et de la grandeur. Arrivé au Forum, et contemplant du haut de la tribune ce majestueux foyer de l’antique domination romaine, il reste un moment frappé de stupeur. Ses yeux, de quelque côté qu’ils se tournent, sont éblouis d’une continuité de prodiges. Après une allocution à la noblesse dans la salle du sénat, et une autre adressée au peuple du haut de son tribunal, il se rend au palais au milieu d’acclamations réitérées, et savoure enfin dans sa plénitude le bonheur objet de tous ses vœux. En présidant les jeux équestres, il prit grand plaisir aux saillies du peuple, qui sut s’interdire les écarts sans renoncer à ses habitudes de liberté. Le prince lui-même observait un juste milieu entre la roideur et l’oubli de son rang. Il n’imposa pas, comme il faisait