Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/73

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réunis. On aurait trop à faire, une fois la confédération dissoute, avec cette fièvre de séditions si habituelle au soldat, qui cette fois aurait le prétexte spécieux de s’être vu enlever la victoire. » Un double souvenir mettait le comble à la confiance de l’armée. Les Romains, l’année précédente, avaient franchi la barrière du Rhin, et fait des courses sur la rive droite, sans qu’un seul ennemi se fût montré pour défendre le sol de son pays. Les barbares s’étaient contentés d’entraver les rentes par des abatis d’arbres ; puis, s’enfonçant dans les terres, avaient passé l’hiver misérablement sans abri contre un ciel rigoureux. Une autre fois, l’empereur en personne avait occupé leur territoire sans qu’ils eussent osé résister ni paraître, et ce n’est pour implorer la paix en suppliant. Mais on ne voulait pas voir que les circonstances avaient bien changé. Les Allemands, dans la première occurrence, étaient pressés de trois côtés à la fois : par l’empereur, qui menaçait la Rhétie ; par César, qui leur fermait absolument l’entrée des Gaules ; enfin par des nations limitrophes, qui s’étaient déclarées contre eux et les prenaient à dos. La paix une fois conclue avec l’empereur, celui-ci avait retiré son armée ; ils avait alors accordé leurs différends avec leurs voisins, qui s’étaient joints à eux pour agir de concert ; et, tout récemment encore, la fuite honteuse d’un général romain venait d’ajouter à leur fierté naturelle. Un événement étranger aggravait d’ailleurs notre position. Les rois Gundomade et Vadomaire, liés par le traité qu’ils avaient obtenu de Constance l’année précédente, n’avaient osé jusque-là prendre part au mouvement, ni écouter aucune proposition à cet égard. Mais voilà Gundomade, le meilleur des deux et le plus sûr dans ses engagements, qui périt victime d’une trahison ; tout son peuple aussitôt se réunit à la ligue ; et Vadomaire (c’est du moins ce qu’il affirma) ne put empêcher le sien de prendre également parti pour nos adversaires.

Aux premiers rangs comme aux derniers, l’armée se montrait donc unanime sur l’opportunité de marcher immédiatement à l’ennemi, autant que disposée à se raidir contre l’ordre contraire. Alors un porte-étendard s’écria soudain : « En avant, César, ô le plus heureux de tous les hommes ! La fortune elle-même guide tes pas. Nous comprenons seulement depuis que tu nous commandes ce que peut la valeur unie à l’habileté. Montre-nous le chemin du succès en brave qui devance les enseignes ; et nous te montrerons, nous, ce que vaut le soldat sous l’œil d’un chef vaillant, qui juge par lui-même du mérite de chacun. »

A ces mots, sans accepter de relâche, l’armée s’ébranle de nouveau, et parvient au pied d’une colline en pente douce, couverte de blés déjà mûrs, et située à peu de distance de la rive du Rhin. Trois cavaliers ennemis étaient en observation au sommet, et coururent à toute bride annoncer aux leurs notre approche. Mais une quatrième vedette qui était à pied, et ne put suivre les autres, fut gagnée de vitesse par nos soldats, et nous apprîmes d’elle que l’armée germaine avait employé trois jours et autant de nuits à passer le Rhin. Nos chefs pouvaient déjà voir l’ennemi former ses colonnes d’attaque. On commande halte ; et aussitôt les antépilaires, les hastaires et leurs serre-files se mettent en ligne et restent fixes, présentant un front de bataille