Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/780

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CHAPITRE XIV.

Soit calcul, soit effet du hasard, ou manque de facultés, il y eut d’abord très-peu de cavalerie dans les armées romaines ; et, dans le temps même où la république fut dans toute sa splendeur, il y en eut très peu dans ses armées, proportion gardée avec l’infanterie : même, dans la suite, l’infanterie ayant été considérablement augmentée, la cavalerie resta toujours à trois cents chevaux par légion, à l’exception de quelques légères augmentations qui se firent dans certaines circonstances, mais qui ne furent pas de durée. — Instruits par l’expérience que l’infanterie bien disciplinée et aguerrie était propre à tout pays, à tout terrain, et que la meilleure cavalerie, lorsqu’elle était trop nombreuse, était souvent très-embarrassante et toujours très-coûteuse ; qu’elle était inutile et même nuisible dans des pays de montagnes on coupés par des ruisseaux ; qu’elle gênait les généraux quant à la subsistance, parce que tous les pays n’abondaient pas en fourrages ; toutes ces raisons les déterminèrent à ne point augmenter leur cavalerie, et à porter toute leur attention sur leur infanterie, qu’ils augmentèrent considérablement, tant par le nombre des légions qu’ils mirent sur pied, que par la force de chacune, qui cependant ne passa jamais six mille ; ce nombre même ne fut pas général pour toutes les légions. — Tous les historiens s’accordent sur la quantité de cavalerie attachée à chaque légion, et ils diffèrent peu les uns des autres. Tous la partagent en dix turmes de trente cavaliers chacune, ce qui faisait trois cents par légion. Végèce est le seul qui lui en donne beaucoup davantage : au chap. 6, l. I, il lui donne sept cent vingt-six cavaliers ; et dans celui-ci il ne lui en donne que trois cent cinquante-deux, parce que dix turmes de trente-deux hommes chacune font trois cent vingt ; et, en supposant celle de la cohorte milliaire du double plus forte que les neuf autres, ce nombre ajouté forme un corps de trois cent cinquante-deux cavaliers. Jamais Végèce n’est d’accord avec lui-même ; il serait excusable si ses principes ne variaient pas, pour ainsi dire, à chaque page, parce qu’il écrivit dans un temps où la constitution militaire des Romains était absolument différente de celle du temps de la république : il eut d’ailleurs très-peu de secours à tirer du petit nombre d’anciens ouvrages qui avaient passé jusqu’à son siècle ; et ce qu’il n’y a pas trouvé, il y a probablement suppléé de son chef. Ainsi, il me parait bien plus simple et plus juste de s’en rapporter à Polybe, Tite-Live et Denys d’Halicarnasse, qui ont écrit dans le temps le plus florissant de la république.

De turmis equitum legionariorum. « La cavalerie romaine avait toujours été peu redoutable jusqu’à ce que, souvent battue par celle d’Annibal, elle fut augmentée et disciplinée par Scipion. On entretint toujours la cavalerie romaine dans la bonne habitude de combattre à pied en cas de besoin ; en quoi elle eut occasion de se perfectionner dans les guerres d’Espagne ; car les Espagnols, au rapport de Strabon (Antiq. expliq., t. IV, c. 6), montaient deox sur le même cheval, et dans les rencontres l’un des deux mettait pied à terre pour combattre. Rome adopta cet usage, qui se soutint sous les empereurs, puisque Léon ordonne, dans sa Tactique (ch. 7, art. 61), que la cavalerie qui ne pourra résister, mette pied à terre pour se mieux défendre. — Les anciens faisaient combattre leur cavalerie par escadrons sur vingt de front, les Grecs sur huit, les Romains sur quatre de hauteur ; ni les uns ni les autres ne se servaient de selles ni d’étriers ; ils sautaient légèrement à cheval. Ceux que l’âge ou la faiblesse avaient appesantis s’aidaient d’un valet, à l’imitation des Perses. Ce fut pour leur éviter cet assujettissement que Gracchus fit placer aux deux côtés des grands chemins, de distance en distauce, de belles et grandes pierres ; les voyageurs s’en aidaient pour monter à cheval. — Les premières selles chez les Romains ne furent que des pièces d’étoffe qui pendaient quelquefois des deux côtés presque jusqu’à terre, quelquefois doublées, quelquefois bourrées : le bois ni le cuir n’entraient dans 1a construction des selles que nous représentent les anciens monoments. Ce n’est que sous l’empereur Théodose qu’on remarque un pommeau et des étriers aux selles, sans qu’on sache précisément la date de cet usage. »

Ut enim centum et decem. Des éditeurs ont supprimé mal à propos decem, que donnent la plupart des manuscrits, et que le sens exige. C’est Stewechius qui a rétabli le premier ce passage, d’après quelques bonnes copies.

Eligendus est magnis viribus. On lit dans quelques éditions : eligendus est qui sit magnis viribus, etc. ; et, malgré l’autorité de Schwebelius, nous croyons cette leçon meilleure que la nôtre, el pins conforme au reste de la phrase.

Samiare. Des manuscrits suppriment ce mot, conjecture ingénieuse de Stewechius, qui l’a tiré d’une mauvaise leçon (Samaras). — « Quant aux soius dont parle Végèce, Xéuophon nous apprend que Cyrus en recommandait encore d’autres ; c’était, par exemple, de porter avec soi une lime. « Il semble, dit-il, qu’en aiguisant son javelot on s’aiguise le courage, et qu’on serait honteux d’être lâche, après avoir bien affilé ses armes. » — C’était une sentence de Philopœmen (Polybe, II, 3), que « l’éclat et le brillant des armes contribuent beaucoup à épouvanter l’ennemi. » Sur ce principe, il voulait que le soldat entretint ses armes plus propres et plus ornées que son manteau et sa tunique. La façon de juger du soldat par ses armes, qu’indique Végèce, est rarement trompeuse. Au reste, la propreté des armes les rend meilleures. C’est un avantage que les Romains ont toujours eu sur leurs ennemis. A l’égard du brillant, il était peu usité, peu connu même chez les premiers Romains : leurs armes furent longtemps simples, comme toutes les autres choses dont ils se servaient ; mais, s’étant enrichis aux dépens de leurs voisins, ils cherchèrent à orner tout ce qu’ils avaient de plus cher, c’est-à-dire leurs armes. Brutus et Sertorius les embellirent ; Jules César, naturellement porté à la magnificence, y ajouta des ornements d’or et d’argent, comptant par là attacher davantage le soldat à leur conservation. On ne se fiait cependant pas tellement aux motifs d’intérêt et d’honneur, qu’on n’y joignit ceux de la crainte des peines et de la honte ; car le soldat qui avait vendu partie de ses armes était frappé de verges, et puni même de mort lorsqu’il les avait toutes perdues ou vendues. »

CHAPITRE XV.

Turpin de Crissé a réuni les chapitres 15 et 16 dans son Commentaire, dont voici un extrait :

Il est difficile de comprendre Végèce sur l’ordre de bataille des Romains, qu’il suppose ici ; non qu’il ne soit très-clair dans son exposé ; mais il ne faut que se rappeler la composition de la légion, pour voir que la disposition qu’il indique ne pouvait être telle qu’il la décrit. — J’ai dit (II, 6) que dans chaque cohorte, dans chaque manipule et dans chaque centurie, il y avait trois ordres pesamment armés, les hastats, les princes et les triaires : ainsi, et supposant la légion de quatre mille hommes, il devait y avoir dans chaque cohorte cent vingt hastats, autant de princes et soixante triaires : qu’on y ajoute cent vélites, ou légèrement armés, quatrième ordre de la légion, il s’ensuit que chaque cohorte était de quatre cents hommes. — Dans les différents changements qu’essuya la légion relativement à sa force, du temps de la république et sous les empereurs, les triaires furent toujours fixés à six cents ; les différentes augmentations ne portèrent que sur les has-