Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/79

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notre invincible armée, qui, réunie près la rive du Rhin, put enfin, sous la protection active de plusieurs lignes de boucliers, prendre quelque nourriture et du repos. Les Romains perdirent dans cette action deux cent quarante-trois soldats et quatre chefs principaux, Bainobaudes, tribun des Cornutes, Laipse et Innocent, officiers des cataphractes, et un tribun dont le nom ne s’est pas conservé. Du côté des Allemands, six mille morts restèrent sur le champ de bataille, indépendamment du nombre infini de cadavres que le Rhin entraîna dans son cours. Julien, dont l’âme était supérieure encore à sa haute fortune, et qui ne croyait pas grandir son mérite en augmentant son pouvoir, réprimanda sévèrement l’indiscrétion des soldats, qui par acclamation l’avaient salué Auguste : il protesta par serment que ce titre était aussi loin de ses vœux que de ses espérances. Mais, pour ajouter encore chez eux à l’exaltation du triomphe, il fit amener devant lui Chnodomaire. Celui-ci s’avança en s’inclinant jusqu’à terre, et finalement se prosterna à ses pieds, implorant son pardon à la manière des barbares. Julien le rassura. Quelques jours après, Chnodomaire fut conduit à la cour de l’empereur, puis envoyé à Rome par ce dernier, qui lui assigna pour demeure le quartier des étrangers, sur le mont Palatin. Il y mourut de langueur.

Malgré ces grands et brillants résultats, il ne manquait pas de gens près de l’empereur qui, sachant bien faire ainsi leur cour, trouvaient à Julien des torts ou des ridicules. On lui donna par dérision le surnom de Victorin, parce que, dans ses relations, il revenait assez souvent, bien qu’en termes très modestes, sur ce que les Germains avaient été constamment défaits partout où il avait commandé en personne. Par un tour de force d’adulation dont l’extravagance était palpable, mais bien faite pour chatouiller une vanité portée au delà de toute mesure, on parvint à persuader à Constance que dans tout l’univers il ne se faisait rien de grand que par son influence et sous les auspices de son nom. Cette fumée lui monta au cerveau, et dès ce moment et par la suite on le vit donner hardiment le démenti aux faits, en disant dans ses édits, à la première personne, « J’ai combattu, j’ai vaincu ; j’ai relevé des rois prosternés à mes pieds », lorsque, dans le fait, tout cela s’était passé sans lui. Qu’un de ses généraux, par exemple, pendant qu’il ne bougeait lui-même d’Italie, eût obtenu quelque avantage sur les Perses, il ne manquait pas d’envoyer dans toutes les provinces de ces lettres au laurier, avant-courrières de ruine, contenant d’interminables récits de l’action, et des hauts faits du prince en première ligne. Les archives publiques conservent encore des édits, monuments d’aveugle jactance, où il s’élève lui-même jusqu’au ciel : on y trouve même une relation détaillée dé l’affaire d’Argentoratum, dont il était éloigné de plus de quarante marches. On y voit Constance réglant l’ordre de bataille, combattant près des enseignes, poursuivant les barbares, recevant la soumission de Chnodomaire ; et, pour comble d’indignité, pas un mot de Julien. Constance eût enseveli toute cette gloire si la renommée, en dépit de l’envie, n’eût pris soin de la publier.