Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/797

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qui sont chargés des expéditions militaires, de se pourvoir de bonnes cartes, et d’étudier avec soin le terrain et la situation du pays. Il distingue les itinéraires écrits à la main de ceux qui étaient en peinture, adnotata et picta. L’itinéraire qu’on a sous le nom d’Antonin Auguste est de la première espèce, et contient le simple exposé des distances d’une ville à l’autre, et des différentes routes des provinces de l’empire. Les tables de Peutinger représentent les mêmes routes, tracées en lignes parallèles sur une grande carte de vingt et un pieds, mais sans égard à la situation des lieux ni des provinces. Le savant Wesseling (dans la préface de son édition de l’Itinéraire d’Antonin) croit que c’étaient ces itinéraires en peinture, ou picta, dont Végèce parle. Mais comme cet auteur exige en même temps que les généraux s’en servent pour apprendre à connaître le terrain, et régler en conséquence les mouvements des armées, il faut bien que ces cartes aient été plus détaillées que celles des tables de Peutinger. Il paraît que Végèce a voulu désigner, sous le nom d’Itinéraires peints, les cartes que Ptolémée appelle chorographiques, et qui, suivant son idée, devaient représenter un pays avec toutes ses variétés, sans aucun égard à la juste situation des lieux par rapport aux cercles de la terre ; dans celles-ci, dit Ptolémée, « il ne s’agit que de lignes et de points ; mais les cartes chorographiques ou topographiques exigent la main d’un peintre, pour exprimer en petit les figures des ports, des villes, des hameaux et des moindres petits ruisseaux. » Il est donc naturel de conclure que de pareilles cartes particulières et détaillées étaient connues chez les anciens, et qu’on n’a pas manqué d’en faire principalement pour l’usage des officiers, comme le dit Végèce. — Comme les anciens traçaient très-bien certaines portions de terrain avec toutes leurs différentes vues, il dut naturellement leur venir dans l’esprit de représenter également des faits de guerre remarquables, tant pour en conserver le souvenir que pour faciliter l’instruction dans l’art de la guerre. Pline (XXXV, 4) et plusieurs autres écrivains prouvent assez que les anciens savaient lever des plans de batailles et de siéges, et qu’ils traçaient les mouvements des armées pendant le cours d’une campagne. Valérius Messala montra publiquement à Rome le plan d’une bataille dans laquelle il avait vaincu en Sicile, au commencement de la première guerre punique, les Carthaginois et le roi Hiéron. L. Scipion déposa dans le Capitole une carte sur laquelle était peinte sa victoire remportée en Asie sur le roi Antiochus ; et L. Hoslilius Mancinus, qui dans l’assaut général de Carthage avait pénétré le premier dans la ville, montra au peuple une carte très-détaillée de toute la situation de cette ville, et des différentes attaques qu’on avait faites pour la prendre. Selon Pline, on voyait dans la carte de Mancinus la situation non-seulement de la ville de Carthage, mais toutes les différentes attaques qui avaient été faites contre cette ville. On n’a donc aucune raison de refuser aux Romains l’art d’avoir su faire des cartes militaires, quoique vraisemblablement on ne l’eût pas encore porté au degré de perfection et de clarté où il est de nos jours. — Parmi les généraux romains, César s’est le plus distingué par ses connaissances géographiques, et par l’étude qu’il en a faite. Les bonnes descriptions qu’on trouve dans ses Commentaires des pays où il a fait la guerre en fournissent la preuve. On lit dans la préface de la Cosmographie qui a paru sous le nom d’Æthicus[1], que Jules César, dans le temps qu’il était consul avec Marc-Antoine, conçut le projet de faire mesurer toute la terre, et envoya pour cet effet trois mathématiciens grecs, l’un vers l’orient, l’autre vers le nord, et le troisième vers le midi. Selon cet auteur, le travail de ces savants ayant été conduit à une heureuse fin dans l’espace de trente-deux ans, ils retournèrent à Rome, et en firent leur rapport au sénat. Le savant Wesseling (ibid.) doute de cette anecdote, parce que Pline n’en fait pas mention, et « qu’il n’est pas probable, dit-il, qu’on se soit servi de mathématiciens grecs pour les envoyer en Allemagne et chez les autres peuples du Nord, dont ils ne connaissaient pas la langue. Mais l’auteur de la préface ne parle que des provinces de l’empire romain, orbis romani nominis. Nous lisons dans Pline (III, 2) qu’Auguste étala publiquement dans une grande galerie le tableau général du monde connu, distingué dans toutes ses provinces, et avec ses échelles pour en mesurer les distances : on peut, je pense, conclure de là que ce tableau général était non-seulement le fruit des recherches d’Agrippa, mais aussi celui de ces trois mathématiciens, qui précisément vers ce temps venaient d’achever leur ouvrage. Au reste, l’entreprise dont l’auteur de la cosmographie fait honneur à César s’accorde très-bien avec le génie de ce grand homme. Il est plus que vraisemblable que dans les différentes expéditions qu’il fit il se pourvut des meilleures cartes dont l’usage était déjà connu. Il ne négligeait jamais aucun moyen de s’instruire quand il s’agissait de pénétrer pour la première fois dans uu pays inconnu aux Romains. Des lumières acquises de cette manière devaient naturellement augmenter ses connaissances géographiques ; et il est bien probable qu’il s’en est servi pour faire dresser des cartes de ces pays qu’il venait de conquérir, semblables à celles qu’on avait déjà des anciennes provinces de l’empire. »

Sub periculo eligendarum viarum, duces idoneos scientesque percipere. Il y a ici beaucoup de variantes, au milieu desquelles il n’est pas facile de faire un choix. Quelques manuscrits portent super, d’autres eligentium ou digendo, d’autres encore, præcipere. Stewechius n’était pas éloigné de lire : Prœterea super periculo eligendo, viarum duces idoneos scientesque prœcipere ; et Oudendorp remplaçait notre leçon par celle-ci : Sub periculo eligentium, viarum duces idoneos scientesque præcipere (debet).

Custodiœ mancipare. Voy. Onosander (c. 10, § 7) et l’empereur Léon (c. 17 et 116).

Pœnæ ostentatione vel prœmii. On lit dans plusieurs éditions et dans un grand nombre de manuscrits, contestatione, qu’Oudendorp regarde, avec raison, comme une bonne leçon.

Per quœ looa, vel quibus itineribus. Ces deux expressions signifiant tout à (ait la même chose, Stewechius avait écrit ad quœ loca sur la marge d’une de ses éditions de Végèce ; correction approuvée par Oudendorp.

Tutissimum namque in expeditionibus, facienda nesciri. On lisait dans les premières éditions : Tutissimum namque in expeditionibus creditur, facienda ab hostibus nesciri. On doit la leçon de notre texte à Schwebelius, qui rejeta comme des gloses les mots creditur et ab Hostibus.

Sagmarii. Voy. la 6e note du ch. 10 du IIe liv.

Insidiatores transversos frequenter incursant. C’est Modius qui a tiré cette correction des leçons diverses de quelques manuscrits. Oudendorp, de son côté, proposait

  1. Quiconque est l’auteur de cette cosmographie a vécu après le règne de Constantin le Grand ; car il prétend avoir suivi dans son ouvrage la méthode et l’ordre de ces trois mathématiciens, chargés par J. César de mesurer la terre. Bergier, dans son ouvrage Des voies publiques et militaires de l’empire romain (l. III, c. 6), croit que la description des routes et des chemins de l’empire fut faite dans le temps et par ordre de J. César et de l’empereur Auguste, revue et augmentée par les Antonins, et rédigée enfin par d’autres auteurs contemporains de Constantin, conformément aux changements survenus dans les noms de différentes villes. Wesseling a réfuté ce sentiment ; mais il n’en est pas moins vrai que les auteurs de pareils itinéraires devaient tous naturellement se copier les uns les autres, et que le silence de Pline ne suffit pas seul pour renverser le témoignage de l’auteur de cette préface.