Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/81

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voient une députation nous porter les paroles les plus amicales. Mais par un retour soudain, dont on ne s’explique guère le motif, celle-ci fut immédiatement suivie d’une autre nous signifiant l’injonction, avec les menaces les plus furibondes, de quitter la contrée sans délai.

Julien, qui voyait clair dans leur pensée, se procura des barques de petite dimension, mais de marche rapide, et y fit monter huit cents hommes à l’entrée de la nuit, avec ordre de remonter le Rhin à une certaine distance, et de tout mettre à feu et à sang devant eux, quand ils auraient pris terre. Cette manœuvre s’exécuta. Au point du jour apercevant les barbares qui couronnaient les hauteurs, cette troupe s’y porte au pas de course, et n’y trouve personne. L’ennemi l’avait vue venir, et avait eu le temps de s’enfuir. Mais d’immenses tourbillons de fumée lui annoncèrent de loin le débarquement des nôtres et le ravage de ses terres. Ce spectacle frappa au cœur les Germains. Ils s’étaient embusqués pour nous attendre dans un défilé étroit et boisé ; ils l’évacuèrent pour repasser le Main et voler au secours de leurs familles. Bien que pressés de deux côtés par les soldats de la flotte, et par un mouvement simultané de notre cavalerie, grâce à leur connaissance supérieure des localités, ils réussirent dans leur retraite ; mais les nôtres en profitèrent. Le défilé fut franchi sans obstacle, et l’on tomba sur de riches bourgades, en faisant main basse sur ce qu’elles contenaient en blé et en bétail. On délivra en même temps les captifs qui s’y trouvaient ; et tout ce qui se rencontra d’habitations élevées, par le goût en progrès des barbares, sur le modèle de l’architecture romaine, fut détruit par le feu.

A dix milles environ par delà, s’offrit devant nos gens une ténébreuse forêt d’un aspect à glacer d’horreur, et qui arrêta la marche assez longtemps. En effet, un transfuge avait donné avis de la présence de bandes nombreuses qui s’y tenaient cachées dans des cavernes, immenses souterrains à mille issues, et qui de là guettaient le moment de fondre sur nous. Nos soldats firent toutefois bonne contenance ; mais ils trouvèrent en avançant les sentiers tellement obstrués par des abatis d’arbres de toute espèce, que force leur fut de rétrograder, convaincus, à leur mortification amère et hautement exprimée, de l’impossibilité de pousser plus loin, à moins de faire un long circuit par tes chemins les moins praticables. Encore était-ce, dans cette saison, s’exposer en pure perte à toute sorte de dangers ; car on avait passé l’équinoxe d’automne, et tout le pays, monts et vallées, était déjà couvert d’une couche épaisse de neige. Julien renonça donc à poursuivre sa marche ; mais, profitant de ce qu’il n’avait point d’ennemis en tête, il voulut qu’un monument en marquât le progrès. Il fit relever à la hâte un fort construit jadis sur ce point par Trajan, et par lui décoré de son nom, mais qui depuis avait été emporté de vive force. Une garnison temporaire y fut placée, et tout le pays fut mis à contribution pour la pourvoir de vivres.

Les Germains voyant soudain s’élever cette construction menaçante, et déjà terrifiés du succès de nos armes, s’empressèrent d’implorer la paix dans un message plein d’humilité. César, après en avoir délibéré longtemps, et mûrement pesé toutes les conséquences, leur accorda une trêve de dix mois. La prudence lui disait en effet