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Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/93

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d’un droit acquis par tant de victoires : celle de fournir à ses frais les voitures et les matériaux nécessaires à la reconstruction des villes détruites par les barbares. Il y souscrivit ; et quand il eut engagé tout son sang pour garantie de sa parole, il lui fut permis de s’en retourner. Quant aux subsistances, on n’en exigea pas de lui comme de Suomaire : l’entière dévastation de son pays eût rendu tout tribut de ce genre illusoire.

Ainsi le féroce orgueil de ces rois, naguère habitués à s’enrichir du pillage de nos provinces, venait enfin se courber sous la domination romaine, et ils acceptaient l’obéissance comme s’ils eussent été tributaires nés et rompus par l’éducation à la servitude. Toutes ces dispositions terminées, César distribua ses troupes dans leurs divers cantonnements, et revint prendre ses quartiers d’hiver.

XI. Quand la nouvelle de ces événements parvint à la cour de Constance (César étant tenu, comme un simple appariteur, de lui rendre compte de tous ses actes), quiconque se trouvait jouir de quelque crédit au palais, en qualité d’adepte en l’art de la flatterie, s’empressa de tourner en ridicule ces entreprises si habilement conçues, si heureusement mises à fin. Ils avaient sans cesse à la bouche cette phrase impertinente : On a bien assez de la chèvre et de ses victoires. Ce trait portait sur la longue barbe de Julien. On lui donnait aussi les sobriquets de taupe babillarde, de singe empourpré, de Grec manqué, etc. ; toutes plaisanteries qui étaient loin de mal sonner aux oreilles du prince, et qu’il se faisait même un plaisir de provoquer. Aussi c’était à qui viendrait travestir plus impudemment toutes les vertus de Julien, et le qualifier de mou, de pusillanime, d’efféminé, de phraseur habile à donner aux faits une importance qu’ils n’avaient pas en réalité. Plus le mérite s’élève, et plus il est en butte à l’envie. L’histoire dépose des effets de la malveillance contre les plus grands hommes : on leur prête des fautes et des imperfections, dans l’impuissance de leur en trouver. Ainsi l’on accusa d’intempérance Cimon, fils de Miltiade, dont le bras détruisit, près de l’Eurymédon en Pamphylie, une innombrable armée de Perses, et qui contraignit cette arrogante nation à s’humilier pour avoir la paix ; ainsi la jalousie chercha-t-elle à flétrir de l’épithète d’endormi ce Scipion Émilien, dont l’énergique activité valut à Rome la destruction de ses deux plus mortelles ennemies. Enfin n’a-t-on pas vu les détracteurs de Pompée, à bout de leurs recherches pour découvrir son côté faible, se rabattre sur les deux particularités les plus futiles et les plus insignifiantes ? le tic, auquel il était sujet, de se gratter du doigt ta tête, et cette bandelette blanche dont il enveloppait un mal qu’il avait à la jambe. On voulait voir dans l’une l’indice de mœurs dissolues, et dans l’autre une inclination à changer la forme du gouvernement. C’est, disait-on, l’insigne de la royauté : n’importe où on le place. Pitoyable rapprochement qui servit de prétexte à tant de clameurs. Et à qui s’adressaient de telles imputations ! À l’homme qui notoirement, d’après les témoignages les plus respectables, montra le plus de tempérance dans sa conduite privée et de modération dans la vie politique.

Durant ces cabales de la cour, Artémius, déjà vice-préfet de Rome, remplaça Bassus, titulaire