Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/98

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fond sur l’ennemi, et le culbute. À la droite notre infanterie fait un grand carnage de leurs gens de pied, tandis qu’à la gauche nos escadrons enfoncent leur cavalerie.

(10) La cohorte prétorienne préposée à la garde du prince avait d’abord vaillamment soutenu l’attaque ; elle n’eut bientôt plus qu’à prendre à dos les fuyards. Les barbares montraient même en succombant un acharnement invincible, et leurs cris de rage disaient assez que le plus pénible pour eux n’était pas de mourir, mais de voir la joie de leurs vainqueurs. Outre les morts, le champ de bataille était jonché de malheureux à qui leurs jarrets coupés ôtaient le pouvoir de fuir, ou qui avaient perdu quelque membre, ou qui, épargnés par le fer, étouffaient, renversés sous des monceaux de cadavres. Tous souffraient en silence.

(11) Nul, parmi tous ceux qui enduraient l’un de ces genres de torture, ne demanda quartier, ne rendit les armes, n’implora même le bienfait d’une mort plus prompte. Serrant encore le fer de leur main mourante, ils trouvaient moins de honte à succomber qu’à se déclarer vaincus. Le sort, murmuraient-ils, et non la bravoure, avait décidé de tout. Le massacre de tant d’ennemis prit à peine une demi-heure. On ne s’aperçut que par la victoire qu’il y avait eu combat.

(12) Immédiatement après cette vigoureuse exécution sur la population armée, les familles de ceux qui avaient péri furent tirées hors des cabanes, sans distinction d’âge ni de sexe. Ce n’était plus l’orgueil superbe d’autrefois, on descendait alors aux soumissions les plus humiliantes. En un instant on ne vit plus que monceaux de cadavres et bandes de captifs.

(13) L’ardeur de combattre, l’avidité du butin se réveillent alors dans la troupe ; elle veut exterminer tout ce qui avait fui du champ de bataille, ou s’était tenu caché au fond des chaumières. Altéré du sang des barbares, le soldat court aux habitations, renverse leurs toits fragiles, et massacre tout ce qu’il y rencontre. Nul ne trouva d’abri dans sa maison, si solidement qu’elle fût construite.

(14) Pour en finir on eut recours au feu, et tout refuge devint impossible. Alors il n’y eut plus que le choix de se laisser brûler ou de périr par le fer ennemi, en fuyant ce genre de supplice. Quelques-ans cependant, échappés au glaive et aux flammes, se jetèrent dans le fleuve voisin, comptant sur leur adresse à nager pour gagner l’autre rive. Ils se noyèrent pour la plupart, et nos traits en atteignirent un grand nombre. L’eau du vaste fleuve fut bientôt rouge du sang de ce peuple, que deux éléments semblaient conspirer à détruire avec le fer des vainqueurs.

(16) On ne s’en tint pas encore là. Pour ôter aux barbares jusqu’à l’espérance d’avoir la vie sauve après l’incendie de leurs demeures et l’enlèvement de leurs familles, on rassembla tout ce qu’ils possédaient de barques, pour aller à la recherche de ceux que le fleuve séparait de nous.

(17) Conduite avec mystère, une troupe de vélites y prit place, et pénétra par ce moyen dans les retraites des Sarmates. Ceux-ci, à la forme connue des embarcations, mues par des rameurs de leur pays, crurent d’abord n’avoir affaire qu’à des compatriotes ;

(18) mais le fer des javelots, qui brillait, de loin, leur révéla l’approche de ce qu’ils redoutaient le plus. Ils s’enfuirent dans leurs marais, où ils furent suivis par nos soldats, qui en tuèrent