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Page:Marchand - Nos travers, 1901.djvu/128

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NOS TRAVERS

long sur les fortunes diverses des familles. Voici, par exemple, un homme sans fortune, mais occupant une haute situation politique. Il mène un grand train de maison, roule carrosse, dépense jusqu’au dernier sou de son traitement, et jouit avec sa famille, grâce à une telle prodigalité, de la faveur mondaine. Tant qu’il vit ou qu’il a les moyens de soutenir ce rôle brillant, il demeure un des rois de la société. Mais qu’il vienne à mourir ou à perdre son poste lucratif, que ses fils ne sachent pas continuer sa réputation et que leurs sœurs fassent d’insignifiants mariages, de nouveaux venus s’emparent alors de la succession honorifique, éclaboussent avec les roues de leur voiture cette famille déchue dont les descendants prendront rang peut-être parmi les plus humbles bourgeois, à moins qu’ils ne se relèvent de leur propre force.

Cette évolution constante est une des caractéristiques de nos mœurs. Le sentiment d’une telle instabilité devrait tempérer d’un peu d’humilité l’arrogance de certaines gens ; il semble plutôt redoubler l’orgueil de nouveaux arrivés entrevoyant le terme de leur gloire.

La suffisance des sots est en général une manie assez inoffensive et plutôt amusante quand elle ne s’aggrave pas d’un mépris injurieux pour le prochain, d’injustice et d’ingratitude.

La hauteur et la fatuité au reste, toutes niaises qu’elles sont, ne demeurent pas étrangères à quelques gens intelligents, C’est à eux que notre critique s’adresse ; c’est eux qu’elle voudrait convaincre.

Je ne suis pas de ceux qui rêvent l’anarchie dans la société et se révoltent contre ses classifications, contre « cet ordre qui fait l’ornement de Rome pendant la paix, et sa force pendant la guerre », disait Tite-Live.

On n’effacera jamais les distinctions sociales. Il y aura toujours dans le plus égalitaire des États des « premiers citoyens » et des « chefs » à la tête des plus