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NOS TRAVERS

Quel pouvoir peut vous affranchir des égards dus à certains membres de votre famille, à des amis d’enfance ? Qui peut vous acquitter de la dette de reconnaissance contractée jadis par vos parents ou par vous-même envers de généreux protecteurs ? Rien au monde. Les pimbêches qui refusent de saluer dans la rue ou de visiter d’humbles mais honorables personnes auxquelles elles sont alliées ou dont l’amitié fut autrefois précieuse à leur mère, témoignent d’une nature vulgaire ; elles commettent une lâcheté. Il faut se sentir au fond bien peu de chose pour craindre de se diminuer en reconnaissant devant le monde de modestes mais légitimes relations. Le véritable orgueil, si l’on se pique de hauteur, serait de les faire accepter au monde, bon gré mal gré. Les rois qui forçaient leur cour à s’incliner devant leur fou et leurs maîtresses sont sous ce rapport de parfaits modèles d’insolence.

Si l’on avait usé envers les familles de certaines mijaurées de la crainte de se commettre avec des inférieurs, j’en connais dont les parents n’auraient jamais franchi le premier degré de l’échelle sociale. Aussi le mépris de ces belles hautaines quand il se retourne contre d’honnêtes gens qui furent autrefois leurs bienfaiteurs, me semble-t-il, non plus seulement risible, mais méprisable à son tour.

Dans une démocratie comme la nôtre, nous avons tous besoin les uns des autres ; nulle puissance n’est de longue durée et les orgueilleux qui, paraît-il, sont abaissés dès cette vie, connaissent la rétribution plus tôt qu’ailleurs. L’envie y est un trait caractéristique, et à l’égard des superbes, cette jalousie qui fleurit dans les sociétés égalitaires s’accompagne d’une rancune féroce, d’une haine dénigrante et calomniatrice que leur chute même ne désarme pas.

Quand la grandeur déchue est forcée de recourir au travail pour vivre, on lui rend avec usure le dédain qu’elle a prodigué à d’autres. Ce en quoi elle a tort. Les