Page:Marco Polo et al. - Deux voyages en Asie au XIIIe siècle, 1888.djvu/66

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« Monseigneur, nous prions Dieu, de qui tous biens procèdent, et qui vous a donné tous ces avantages temporels, qu’après cela il lui plaise vous donner aussi les célestes, d’autant que les uns sont inutiles et vains sans les autres. » Il écouta cela fort attentivement. J’ajoutai de plus : « Vous devez savoir, monseigneur, lui dis-je, que vous n’aurez jamais ces derniers si vous n’êtes chrétien ; car Dieu a dit lui-même que qui croira et se fera baptiser sera sauvé, mais qui ne croira pas sera condamné. » À ces mots il sourit modestement, et tous les Moals commencèrent à frapper des mains et à se moquer de nous ; de quoi mon truchement eut grande crainte, lui qui me devait encourager à n’avoir point de peur. Après qu’on eut fait silence, je lui dis que « j’étais venu vers son fils, parce que nous avions ouï dire qu’il était chrétien, et que je lui avais apporté des lettres de la part du roi de France, mon souverain seigneur ». Ayant ouï cela, il me fit lever debout, s’enquit du nom de Votre Majesté, de ceux de mes compagnons et de moi, et mon interprète les lui fit mettre par écrit. Il me dit encore qu’il avait entendu que Votre Majesté était sortie de son pays avec une armée pour faire la guerre. Je lui répondis qu’il était vrai, mais que c’était pour la faire aux Sarrasins qui occupaient la sainte cité de Jérusalem, et qui profanaient la maison de Dieu. Il me demanda aussi si jamais vous lui aviez envoyé des ambassadeurs. Je lui dis que non. Alors il nous fit seoir et donner de leur lait à boire, ce qui est considéré comme une grande faveur. Comme je regardais fixement en terre, il me commanda de lever les yeux, voulant nous mieux considérer, et peut-être était-ce par sortilège et superstition. Car c’est un mauvais présage pour eux quand quelqu’un assis devant eux demeure triste et la tête baissée, surtout quand il appuie la tête sur sa main. Après cela, nous sortîmes de là, et peu après notre guide vint, qui nous mena à notre logement, et nous dit qu’il savait que le roi mon maître demandait que nous demeurassions en ces pays-là ; mais que Baatu n’osait rien faire de cela