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DE MARGUERITE DE NAVARRE

son ayde, sa faveur, sa grâce, plusieurs personnages qui estoient suspects, les uns d’avoir violé nostre Religion, les aultres de l’avoir mesprisée.

Ce sont les propos que les obtrectateurs tenoient d’elle, mais à des accusateurs véhéments & molestes. Quoy, Alençonnois, ces mensonges sont elles point entrées en vostre esprit, vous émeuvent elles point ? Mais nous sçavons très bien comment nous devons éviter le coup des fauls crimes que les médisants tirent contre Marguerite comme des dards empoisonnés.

Je sçay que les Philosophes & toutes bonnes & saiges personnes ont tousjours blamé en tous Estats, & principalement aux Princes, ceste legiéreté de croire. Platon l’appelle mère d’inconstance & Caton, en Plutarche, la nomme source de grands mauls, & Solomon aussi escrit que c’est un argument & signe de legiéreté d’esprit. Parquoy il est assés clair que ceuls qui croient trop aisément le plus souvent n’hont l’esprit bien arresté, ne la volunté bien ferme.

Que si je t’accordois ceste imperfection en Marguerite, ce que je ne puis faire, pour quoy ne me confesserois tu aussi qu’elle peut estre excusée en elle ? Car il fault havoir egard au sexe, que le Poëte appelle variable & muable, & S. Pierre escrit que c’est un vaisseau fragil & infirme. Mais qui peut avoir jamais esté si perfaict que sa vie n’ait esté en quelque chose répréhensihle ? Quels Princes furent onc plus forts & magnanimes qu’Alexandre & Jules César ? Toutefois ils ont aulcunement obscurcy leur nom, l’un par yvroignerie, l’aultre par trop grande ambition. Il n’estoit rien si sainct ne si sage que Socrate ; toutefois il n’évita le reproche de timidité, & son disciple Platon a esté suspect d’aimer peu pudiquement, & Aristote, son au-