Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome I.djvu/127

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
113
DE MARGUERITE DE NAVARRE

promis donner après la mort corporelle à tous ceuls qui reposeront leur fiance en luy.

Que cuiddes tu qu’elle te diroit si elle veonoit que tu la déplorasses par féminines pleurs ? Ceuls qui ouirent les propos qu’elle tenoit de l’immortalité de l’Ame & de la béatitude céleste un peu devant qu’elle départist de ce monde, sçavent trèsbien qu’elle craignoit peu la mort, ains qu’elle l’attendoit à visage riant, comme sentant trèsbien qu’elle luy estoit fort proche. Mais il sembleoit qu’elle l’embrasseast comme quelque bonne & joyeuse nouvelle, & la bienvenoit comme si c’eust esté celle qui la venoit delivrer de servitude. Pourquoy donc serons nous envieus contre Marguerite du bien qu’elle avoit si ardemment desiré &, quand elle l’a obtenu, a monstré une merveilleuse joye & liesse ? Si elle estoit encor avec nous & elle fust tourmentée de plusieurs mauls, serions nous marris si elle en estoit delivrée ? Et toutefois Euripide dit que la mort est le souverain remedde de tous mauls ; Æschyle l’appelle médecine des mauls incurables ; Ciceron la nomme libératrice de tous mauls. Qu’est ce Monde aultre chose qu’une grand mair de mauls ; pour quoy desirons nous que de rechief elle soit enveloppée de mauls ? Quand tu la veoiois en son lict malade, bataillante avec la maladie, n’eusses tu voulu que Hippocras ou Galien fussent ressuscités pour luy rendre sa santé ? La Mort, que Sophocle appelle le dernier médecin de toutes maladies, t’a donné ce que tu desirois ; pourquoy maintenant es tu marri qu’elle soit guarie de toutes maladies ? Et, si elle vivoit & tu la veisses enfermée en quelque prison, te seroit il grief de veoir qu’on la vint delivrer ? Thémiste disoit que l’Ame est liée au Corps humain contre Nature & dériveoit la vie de violence pour ce qu’elle est retenue au Corps par