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PROLOGUE

mais sur le temps de ce retour vindrent les pluyes si merveilleuses & si grandes qu’il sembloyt que Dieu eut oblyé la promesse qu’il avoit faicte à Noë de ne destruire plus le Monde par eaue, car toutes les cabanes & logis du dit Cauderès furent si remplyes d’eaue qu’il fut impossible de y demourer. Ceulx qui y estoient venuz du costé d’Espaigne s’en retournèrent par les montaignes le mieulx qui leur fut possible, & ceulx qui congnoissoient les addresses des chemins furent ceulx qui mieulx eschappèrent. Mais les Seigneurs & Dames Françoys, pensans retourner aussi facillement à Tarbes comme ilz estoient venuz, trouvèrent les petitz ruisseaulx si fort creuz que à peyne les peurent ilz gueyer, & quant se vint à passer le Gave Bearnois, qui en allant n’avoit poinct deux piedz de proufondeur, le trouvèrent tant grand & impétueux qu’ilz se destournèrent pour chercher les pontz, lesquelz, pour n’estre que de boys, furent emportez par la véhémence de l’eaue, & quelcuns, cuydans rompre la roideur du cours pour s’assembler plusieurs ensemble, furent emportez si promptement que ceulx qui les vouloient suivre perdirent le povoir & le desir d’aller après. Par quoy, tant pour sercher chemin nouveau que pour estre de diverses opinions, se séparèrent. Les ungs traversèrent la haulteur des montaignes &, passans par Arragon, vindrent en la Conté de Roussillon & de là à Narbonne ; les autres s’en allèrent droict à Barselonne, où, par la mer, les ungs allèrent à Marseille & les autres à Aiguemorte.

Mais une Dame vefve, de longue expérience, nommée Oisille, se délibéra d’oblier toute crainctte par les mauvais chemins jusques ad ce qu’elle fut venue à