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PROLOGUE

Gentilz-hommes incontinant prindrent leurs armes, & avecq leurs varletz s’en allèrent secourir les Dames, pour lesquelles ilz estimoient la mort plus heureuse que la vie après elles. Ainsy qu’ilz arrivèrent au logis, trouvèrent la première porte rompue & les deux Gentils-hommes avecq leurs serviteurs se deffendans vertueusement. Mais, pour ce que le nombre des bandoulliers estoit le plus grand & aussi qu’ilz estoient fort blessez, commençoient à se retirer, aians perdu desjà grande partie de leurs serviteurs. Les deux Gentilz-hommes, regardans aux fenestres, veirent les Dames cryans & plorans si fort que la pitié & l’amour leur creut le cueur, de sorte que, comme deux ours enraigez descendans des montaignes, frappèrent sur ces bandoulliers tant furieusement qu’il y en eut si grand nombre de mortz que le demourant ne voulut plus actendre leurs coups, mais s’enfouyrent où ilz sçavoient bien leur retraicte. Les Gentilz-hommes ayans desfaict ces meschans, dont l’hoste estoyt l’un des mortz, ayans entendu que l’hostesse estoit pire que son mary, l’envoièrent après luy par ung coup d’espée &, entrans en une chambre basse, trouvèrent un des Gentilz-hommes mariés qui rendoit l’esprit. L’autre n’avoyt eu nul mal, sinon qu’il avoit tout son habillement persé de coups de traict & son espée rompue. Le pauvre Gentil-homme, voyant le secours que ces deux luy avoyent faict, après les avoir embrassés & remerciés, les pria de ne l’abandonner poinct, qui leur estoit requeste fort aisée. Par quoy, après avoir faict enterrer le Gentil-homme mort & reconforté sa femme au myeulx qu’ilz peurent, prindrent le chemin où Dieu les conseilloit, sans sçavoir lequel ilz devoient tenir.