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PROLOGUE

maistresses, & sur toutes en loua Dieu de bon cueur Parlamente, car longtemps avoyt qu’elle l’avoit très affectionné serviteur.

Et, après s’estre enquis dilligemment du chemyn de Serrance, combien que le bon vieillard le leur feit fort difficille, pour cella ne laissèrent d’entreprendre d’y aller &, dès ce jour là, se meirent en chemyn si bien en ordre qu’il ne leur falloit rien, car l’abbé les fournyt de vin & force vivres, & de gentilz compaignons pour les mener seurement par les montaignes, lesquelles passèrent plus à pied que à cheval. En grand sueur & traveil arrivèrent à Nostre-Dame de Serrance, où l’Abbé, combien qu’il fût assez mauvais homme, ne leur osa refuser le logis pour la craincte du seigneur de Bearn, dont il sçavoit qu’ilz estoient bien aimez, mais luy, qui estoit vray hypocrithe, leur feit le meilleur visaige qu’il estoit possible & les mena veoir la bonne dame Oisille & le Gentil-homme Simontault.

La joye fut si grande en ceste compaignie, miraculeusement assemblée, que la nuict leur sembla courte à louer Dieu dedans l’église de la grace qu’il leur avoit faicte, & après que sur le matin eurent prins ung peu de repos, allèrent oyr la messe & tous recepvoir le sainct sacrement de unyon, auquel tous Chrestiens sont uniz en ung, suppliant Celluy qui les avoit assemblez par sa bonté parfaire le voiage à sa gloire. Après disner envoyèrent sçavoir si les eaues estoient poinct escoulées &, trouvant que plustost elles estoient creues & que de longtemps ne pourroient seurement passer, se délibérèrent de faire ung pont sur le bout de deux rochiers, qui sont fort près l’un de l’autre, où encores il