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PROLOGUE

« Mes enfans, vous me demandez une chose que je trouve fort difficile de vous enseigner, ung passetemps qui vous puisse delivrer de vos ennuictz, car, aïant cherché le remède toute ma vye, n’en ay jamais trouvé que ung, qui est la lecture des sainctes lectres, en laquelle se trouve la vraie & parfaicte joie de l’esprit, d’ont procède le repos & la santé du corps. Et, si vous me demandez quelle recepte me tient si joyeuse & si saine sur ma vieillesse, c’est que, incontinant que je suys levée, je prends la saincte Escripture & la lys &, en voiant & contemplant la bonté de Dieu, qui pour nous a envoié son Filz en Terre anoncer ceste saincte parolle & bonne nouvelle, par laquelle il permect rémission de tous péchez, satisfaction de toutes debtes par le don qu’il nous faict de son amour, passion & mérites. Ceste considération me donne tant de joye que je prends mon Psaultier &, le plus humblement qu’il m’est possible, chante de cueur & prononce de bouche les beaulx Psealmes & Canticques que le Sainct Esperit a composé au cueur de David & des autres aucteurs, & ce contentement là que je en ay me faict tant de bien que tous les maulx qui le jour me peuvent advenir me semblent estre bénédictions, veu que j’ay en mon cueur par foy celluy qui les a portez pour moy. Pareillement, avant souper, je me retire pour donner pasture à mon ame de quelque leçon, & puis au soir faictz une recollection de tout ce que j’ay faict la journée passée pour demander pardon de mes faultes, le remercier de ses graces, & en son amour, craincte & paix, prends mon repos asseuré de tous maulx. Par quoy, mes enfans, voylà le passetemps auquel me suis arresté, long temps a, après avoir cherché en tous autres & non trouvé contente-