Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome I.djvu/338

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
324
Ire JOURNÉE

bloit que vous fussiez ung diable sans ordre ne mesure. Ô malheureux, pensez quel aveuglement vous a prins de louer tant mon corps & mon enbonpoinct, dont par si long temps avez esté jouyssant sans en faire grande estime. Ce n’est doncques pas la beaulté ne l’enbonpoinct de vostre Chamberiére qui vous a faict trouver ce plaisir si agréable, mais c’est le péché infame de la villaine concupiscence qui brusle vostre cueur & vous rend tous les sens si hebestez que, par la fureur en quoy vous mectoit l’amour de vostre Chamberière, je croy que vous eussiez prins une chèvre coiffée pour une belle fille. Or il est temps, mon mary, de vous corriger & de vous contanter autant de moy, en me congnoissant vostre & femme de bien, que vous avez faict pensant que je fusse une pauvre meschante. Ce que j’ay faict a esté pour vous retirer de vostre malheurté, à fin que, sur vostre vieillesse, nous vivions en bonne amityé & repos de conscience ; car, si vous voulez continuer la vie passée, j’ayme myeulx me séparer de vous que de veoir de jour en jour la ruyne de vostre ame, de vostre corps & de voz biens, devant mes oeilz. Mais, s’il vous plaist congnoistre vostre faulce oppinion & vous délibérer de vivre selon Dieu, gardant ses commandemens, j’oblieray toutes les faultes passées, comme je veulx que Dieu oblye l’ingratitude à ne l’aimer comme je doibz. »