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Ire JOURNÉE

desirer l’amityé semblable l’entende, & mesmes je n’ose penser ma pensée de paour que mes oeilz en révèlent quelque chose, car tant plus je tiens ce feu celé & couvert, & plus en moy croist le plaisir de sçavoir que j’ayme perfaictement.

— Ha, par ma foy, » dist Geburon, « si ne croys je pas que vous ne fussiez bien aise d’estre aymé.

— Je ne dis pas le contraire, » dist Dagoucin ; « mais, quand je serois tant aymé que j’ayme, si n’en sçauroit croistre mon amour, comme elle ne sçauroit diminuer pour n’estre si très aymé que j’ayme fort. »

À l’heure Parlamente, qui soupsonnoit ceste fantaisye, luy dist : « Donnez vous garde, Dagoucin ; j’en ay veu d’aultres que vous qui ont mieulx aimé mourir que parler.

— Ceulx là, ma Dame, » dist Dagoucin, « estimay je très heureux.

— Voire, » dist Saffredent, « & dignes d’estre mis au rang des Innocens, desquels l’Église chante :

Non loquendo, sed moriendo confessi sunt.

« J’en ay ouy tant parler de ces transiz d’amours, mais encores jamays je n’en veis mourir ung &, puisque je suis eschappé, veu les ennuiz que j’en ay porté, je ne pensay jamais que autre en puisse mourir.

— Ha, Saffredent, » dist Dagoucin, « où voulez vous doncques estre aymé, puisque ceulx de vostre oppinion ne meurent jamais ? Mais j’en sçay assez bon nombre qui ne sont mortz d’autre maladye que d’aymer parfaictement.

— Or, puisque en sçavez des histoires, » dist Longarine, « je vous donne ma voix pour nous en racompter