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Ire JOURNÉE

Gentil homme que, si tous les parens eussent esté de l’oppinion d’elle & de sa fille, ilz eussent préféré l’honnesteté de luy à tous les biens de l’autre ; mais les parens du costé du père n’y vouloient entendre. Toutesfois avecq sa fille alla visiter le pauvre malheureux, qu’elle trouva plus mort que vif. Et, congnoissant la fin de sa vye approcher, s’estoyt le matin confessé & reçeu le sainct sacrement, pensant mourir sans plus veoir personne. Mais luy, à deux doigtz de la mort, voyant entrer celle qui estoit sa vie & resurrection, se sentit si fortiffié qu’il se gecta en sursault sur son lict, disant à la Dame : « Quelle occasion vous a esmeue, ma Dame, de venir visiter celluy qui a desjà le pied en la fosse, & de la mort du quel vous estes la cause ? — Comment, » ce dist la Dame, « seroyt il bien possible que celluy que nous aymons tant peust recepvoir la mort par nostre faulte ? Je vous prie, dictes moy pour quelle raison vous tenez ces propos. — Ma Dame, » ce dist il, « combien que tant qu’il m’a esté possible j’aye dissimullé l’amour que j’ay porté à ma Damoyselle vostre fille, si est ce que mes parens, parlans du mariage d’elle & de moy, en ont plus declairé que je ne voulois, veu le malheur qui m’est advenu d’en perdre l’espérance, non pour mon plaisir particulier, mais pour ce que je sçay que avecq nul aultre ne sera jamais si bien traictée ne tant aymée qu’elle eust esté avecq moy.