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Ire JOURNÉE

respondit : « Dictes ce qu’il vous plaira, car, si vous m’estonnez, nul autre ne m’asseurera. »

Il commença à luy dire :

« Ma Dame, je ne vous ay encores voulu dire la très grande affection que je vous porte pour deux raisons : l’une que j’entendois par long service vous en donner l’expérience ; l’autre que je doubtois que vous estimissiez gloire en moy, qui suis ung simple Gentil homme, de m’adresser en lieu qu’il ne m’appartient de regarder, &, encores quant je serois Prince comme vous, la loyaulté de vostre cueur ne me permectroyt que ung aultre que celluy qui en a prins la possession, filz de l’Infant Fortuné, vous tienne propos d’amityé. Mais, ma Dame, tout ainsy que la nécessité en une forte guerre contrainct faire le dégast de son propre bien & ruiner le bled en herbe de paour que l’ennemy n’en puisse faire son proffict, ainsi prens je le hazard de advancer le fruict que avecq le temps j’espérois cueillir, pour garder que les ennemys de vous & de moy n’en peussent faire leur proffit à vostre dommaige. Entendez, ma Dame, que dès l’heure de vostre grande jeunesse, je me suis tellement dédié à vostre service que je n’ay cessé de chercher les moyens pour acquérir vostre bonne grace & pour ceste occasion seulle me suis marié à celle que je pensois que vous aimiez le mieulx, &, sçachant l’amour que vous portiez au filz de l’In-