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ORAISON FUNÈBRE

De là ont prins leur source les rémunérations constituées aux vertueux & héroïques faicts, comme les couronnes, les triumphes, les trophées, les images & statues, les magistrats, les dignités & aultres pareils honneurs. Or ne peut ceste institution tant louable estre si bien retenue & gardée en ses limites que telles louenges fussent ordonnées pour les vivants seulement, mais ont esté aussi estandues jusques à ceuls qui s’estoient si bien gouvernés en ce Monde qu’après leur mort ils avoient laissé, tant aux vivants qu’à leurs successeurs, des exemplaires de vertu comme d’éguillons à bien & heureusement vivre. C’est la cause principale qui émeut les Athéniens de louer tous les ans en public tous ceuls qui estoient morts pour leur Patrie. Les aultres nations de Grèce guardèrent aussi religieusement telle coustume & souloient réciter publiquement toutes les louenges des trespassés, commanceants à leurs premiers gestes.

Et à la fin descendit ceste bonne & louable institution des Grecs aux Romains, tant qu’à Romme souloient les plus apparents & plus anciens, ou ceuls qui toucheoient aux trespassés de plus proche consanguinité & alience, réciter par funèbre oraison leurs faicts, leurs dicts, & générallement tout le cours de leur vie. Or n’ont esté seuls les Grecs & les Romains qui trouvèrent honorable de commémorer la vie & les louenges des illustres personnes après leur mort ; mais aussi fut ceste coustume observée des Indiens, qui souloient créer un magistrat ayant charge expresse de réciter à l’entrée de la maison du trespassé non seulement ses louenges & actes vertueux, mais aussi racompter & comme paindre au vif ses mœurs, ses conditions & sa vie, & devoit apertement dire si, luy vivant, auroit ou dit ou fait aulcune chose deshonneste qu’on deust fuir, affin que