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Xe NOUVELLE

opinion. Je le vous dictz avec tel regret qu’il ne peut estre plus grand, mais, si je fusse venue jusques à avoir juré parfaicte amitié avec vous, je sens bien mon cueur tel qu’il fust mort en ceste rencontre, combien que l’estonnement que j’ay de me veoir deçeue est si grand que je suis seure qu’il rendra ma vie ou briefve ou doloreuse. Et sur ce mot, je vous dy à Dieu, mais c’est pour jamais. »

Je n’entreprends poinct de vous dire la douleur que sentoyt Amadour escoutant ces paroles, car elle n’est seullement impossible à escripre, mais à penser, sinon à ceux qui ont expérimenté la pareille, &, voiant que sur ceste cruelle conclusion elle s’en alloyt, l’arresta par le bras, sçachant très bien que, s’il ne luy ostoit la mauvaise opinion qu’il luy avoit donnée, à jamais il la perdroit. Par quoy il luy dist avec le plus fainct visaige qu’il peut prendre : « Ma Dame, j’ay toute ma vie desiré d’aimer une femme de bien &, pour ce que je en ay trouvé si peu, j’ay bien voulu vous expérimenter pour veoir si vous estiez, par vostre vertu, digne d’estre tant estimée que aymée, ce que maintenant je sçay certainement, dont je loue Dieu qui adresse mon cueur à aymer tant de perfection, vous suppliant de me pardonner ceste folle & audatieuse entreprinse, puis que vous voyez que la fin en tourne à vostre honneur & à mon grand contentement. »