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ORAISON FUNÈBRE

guement alterquèrent & débattirent sur le Nom que ses Parreins & Marreines luy donnereoient. Or eussent ils peu, suivant la coustume de France, la nommer Loyse ou Charlotte, veu que la plus grand part de ses prédécesseurs avoient heu les noms de Loys & Charles, qui sont en France des noms de Princes ; mais le plaisir de Dieu fut luy faire bailler nom qui respondroit aux grâces futures en elle.

Cecy pourra sembler à d’aulcuns ridicule comme un songe & resverie de vieilles, pource que, de prime face, il n’est trop croiable que les Dieus Célestes se soucient de quels noms les hommes mortels soient appellés. D’avantage il semblera chose absurde de nous vouloir persuader qu’il y ait quelque mystère caiché soubs les Noms propres, veu que plus tost ils sont donnés au plaisir des Parreins & Marreines que pour y avoir dessoubs aulcune religion comprime & caichée. Mais, si nous accordons que foy doive estre adjoustée au divin Philosophe Platon, quoy que les Noms propres soient souvent imposés des surnoms des prédécesseurs, lesquels toutefois ne conviennent tousjours à ceuls qui les portent & soient aussi souvent donnés selon le vœu des impositeurs, comme si quelcun désire que son fils aime Dieu & soit aimé de Dieu, le nomme Théophile, toutefois plusieurs noms sont institués plus par une occulte providence & disposition divine que par la délibération & puissance humaine. Car, puisque le Nom, ainsi que le mesme Platon dit, est comme une paincture, imitation & instrument, par lequel les substances des choses sont monstrées au doigt & séparées d’ensemble, certes, il fault celuy qui impose les Noms appeller les choses de Noms qui leur soient propres & convenables, ce que bien & deuement faire n’apartient aux imperits, & n’est commun à un chascun, ains est plustost l’œuvre de Divinité.