Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome I.djvu/71

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
57
DE MARGUERITE DE NAVARRE

voir ausé déhontément mesdire d’elle, ceuls là apertement & en public, ceuls cy secrètement & soubs les cheminées, les uns aux tavernes, les aultres en leurs maisons, les aultres aussi en leurs Leçons & Sermons, certes sa doulceur, sa bénignité, sa constance, seroit assés manifestée & congnue à toute sorte de gents. Que si elle eust voulu appliquer son esprit à s’en venger, qui niera qu’elle eust peu aisément mettre à perdition & faire saccager un tas d’ivroignes & téméraires ? Elle, dy je, qui estoit & Royne tréspuissante, & unique & trèsaimée Sœur d’un Roy trèspuissant & trèsredoubté, qui réputeoit ce qui lui estoit fait estre fait à lui-mesmes ? Où est celuy, tant soit il de noble & grand cœur, qui peust havoir si perfaicte patience que de se monstrer muet aux injures & opprobres de la déhontée loquacité des gents de nulle valeur ? Si l’on irrite les bestes brutes, elles ne l’endureront ; le Cheval se desfendra du pied, le Chien de la dent, le Bœuf de la corne, le Porc espic de ses espines, l’Avette de son éguillon, Narcé de son poison. Mais Marguerite s’estoit couverte du bouclier évangélique, c’est de Patience, contre le venin des hommes pestifères, malings & pernicieus, & ne voulut onc emploier l’auctorité, puissance & crédit, ou d’elle ou des siens, contre euls.

Au contraire, sa clémence & bonté a esté si grande que, lors que certains des principauls & capitaines de tels tumultes furent appréhendés & constitués prisonniers pour punir leur trop effrénée licence de mesdire & que le Roy François eust délibéré cohiber & refraindre par peine de mort la trop impudente & désordonnée pétulance des téméraires détracteurs, elle se prosterna devant son frère & ne cessa luy crier mercy pour euls & trèshumblement le supplier de ne dépouiller bonté, miséricorde & clémence