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ORAISON FUNÈBRE

Et que te semble des robbes longues ? Sont-ils, à ton dire, villains ? Mais, s’ils ont toutefois ces deux noblesses ensemble, je dy qu’ils soient venus de race & maison noble & ancienne & avec cela soient illustres & splendides de vertu, diras tu qu’ils ne sont plus nobles pource qu’ils portent longues robbes ? Quel jugement feras tu donc des robbes longues qui jadis fundèrent la République Romaine, l’érigèrent, la mirent en vigueur & la rendirent dame, princesse & chef de tout le Monde ?

Que diras tu aussi de ceuls que les Roys & les Princes de nostre temps ont appellés à leurs Courts, à leur Conseil, à l’administration des lois & de justice, & sans la prudence desquels les Royaumes seroient renversés, les Républiques ruinées & mises du tout en bas, & n’y auroit partout que tumultes, séditions, rébellions & mustineries ? Quand vous avés besoing de conseil, quand vous havés procès pour la tuition & garde de vos biens, quand on vous fait la guerre, quand il vous fault défendre par Justice, lors qu’on vous a fait oultrage, vous prenés vostre recours aux robbes longues comme a vostre dernier refuge, & toutefois, ô Gentilhomme mon amy, encor blasmes tu que Marguerite havoit en sa maison plusieurs bonnets ronds, sans la compaignie desquels n’alloit en aulcun lieu. Mais il te fait grand mal quelle disputeoit familièrement avec euls, & ce pendant ne tenoit aulcun propos avec toy. Mon amy, la prudente Royne préveoioit bien que tu devois recevoir grand honte si elle t’eust demandé ton opinion des choses desquelles le seul nom incontinent t’eust rendu muet. C’est certes la seule cause qui t’a fait dire qu’elles parleoit de choses frivolles avec ses bonnets ronds. Mais où est celuy qui ne cognoit le fruict d’un arbre tirer toute sa saveur du suc de la racine ? Aussi fault-il que